Derrière les grandes entreprises de l’IA, le rôle essentiel des «petites mains» africaines

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Paris accueille depuis jeudi et jusqu’au 11 février un ensemble d’événements sur l’Intelligence artificielle. Les annotateurs et étiqueteurs de données, « petites mains » de l’IA, doivent « l’entraîner » à reconnaître images et textes, et sont très nombreux en Afrique. À Madagascar, les travailleurs de ce secteur se sont taillés une belle réputation, tandis qu’au Kenya, ces annotateurs commencent à s’organiser pour faire valoir leurs droits.

Annoter des images à la chaîne sur son ordinateur. C’est ce qu’a fait Ephantus Kanyugi pendant plusieurs années. Un travail essentiel au fonctionnement des IA, comme il l’explique, assis à un café du centre-ville de Nairobi, rapporte notre correspondante dans la capitale kenyane, Albane Thirouard. « Prenons les voitures qui s’auto-conduisent par exemple. La voiture a besoin de comprendre ce qu’elle voit : il faut lui apprendre ce que ce panneau de signalisation veut dire ou que si elle voit une ligne continue il ne faut pas doubler », explique-t-il. 

Mais Ephantus dénonce une paie irrégulière, des tâches payés quelques centimes de dollars… Et puis, un contenu parfois douloureux à regarder. « Un jour, on annote des voitures, le lendemain ça peut être des corps décédés. Si la personne a reçu un coup de marteau sur la tête, il faut zoomer sur la blessure pour l’entourer, indiquer qu’il y a du sang… C’est très macabre. Et l’on travaille parfois 13h par jour sur de telles images, forcément ça affecte la santé mentale. »

Pétition déposée au Parlement kényan

Plusieurs travailleurs pour ces IA ont déposé une pétition auprès du Parlement kényan, demandant des enquêtes sur leurs conditions de travail et une législation pour mieux protéger leurs droits. Ephantus Kanyugi, lui, a monté une association avec des confrères.

Joan Kinyua en est la présidente. « Nous demandons une paie équitable, des conditions de travail raisonnables et un soutien psychologique adéquat. C’est le strict minimum en comparaison des millions que ces entreprises gagnent grâce aux innovations auxquelles nous participons », pose-t-elle.

Tous les deux insistent : ils ne sont pas contre ces métiers au Kenya, mais demandent qu’ils soient pratiqués dans de meilleures conditions.

Madagascar, une pionnière en Afrique sur l’IA

De son côté, Madagascar, détient elle aussi une belle réputation dans ces segments spécialisés pour entraîner l’IA, et fait figure de pionnière en Afrique. Dans l’une des sociétés leader du traitement de la donnée sur l’île, des centaines d’ordinateurs s’étalent à perte de vue dans un grand bâtiment en verre de la capitale, raconte notre correspondante à Antananarivo, Sarah Tétaud.

Derrière chaque poste, des employés jeunes – âge médian 26 ans – et spécialisés. Armés de leur souris, ils font défiler des images devant eux, calculent, décortiquent, analysent et qualifient ce qu’ils voient. Eux, ce sont les annotateurs.

Des experts dans leur domaine grâce auxquels Madagascar peut aujourd’hui compter pour se positionner dans l’écosystème mondial de l’IA, nous explique Mathieu Debersée, directeur des opérations chez Ingedata. « Madagascar n’est pas sur la carte du monde de l’IA, notamment dans tout ce qui va être conception, par exemple d’algorithme. En revanche, dans tout ce qui est traitement de la data, on est assez avancé pour l’Afrique en général, où on a des qualifications qui sont devenues des spécialités et qui sont reconnues internationalement par les clients finaux. »

« Des niveaux d’expertise qui vont bluffer » à l’international

Médecins, ingénieurs en bâtiment ou en agronomie, comptables, juristes, spécialistes de l’environnement, concepteurs 3D : pour les besoins des projets remportés, l’entreprise a su s’entourer de jeunes qualifiés, détenteurs pour la majorité de diplômes d’études supérieures.

« Par exemple, on va avoir des annotateurs qui vont être sur des niveaux d’expertise qui vont bluffer des experts internationaux dans leur domaine, notamment sur de l’observation satellite, également sur tout ce qui va être lié à ce qu’on appelle le “Medtech”, c’est-à-dire la technique au service du médical où on va avoir des algorithmes qui sont traités et qui sont enrichis par des données qualifiées à Madagascar », poursuit Mathieu Debersée.

Ici, des médecins généralistes qui annotent des électrocardiogrammes pour pouvoir permettre aux algorithmes de cardiologie de détecter des anomalies cardiaques en amont des diagnostics humains. Là, des ingénieurs qui analysent des photos satellites de champs de maïs pour réduire l’utilisation de pesticides.

L’annotation est un métier en plein boom, très demandeur en main-d’œuvre et qui offre une solution pour lutter contre le chômage massif des jeunes diplômés malgaches.

RFI

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