Dérives ethnicistes et responsabilités politico-médiatiques (Par Mame Mactar Guèye)

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LE SÉNÉGAL ne peut se targuer d’être absolument immunisé contre ces vents de folie qui ont eu à s’emparer de certains pays africains frères, où des franges entières de leurs sociétés ont eu à souffrir le martyr de la stigmatisation et de l’ostracisme. Nous ne sommes qu’un modeste pan, parmi tant d’autres, de la société africaine, avec ses blessures ancestrales mal cicatrisées, les réminiscences de ses conflits tribaux imparfaitement refoulées et ses tares congénitales handicapantes, qui auront marqué sa longue et douloureuse évolution.

CES ATAVISMES n’en auront pas moins caractérisé, en leur temps, ces communautés sœurs en humanité, dites «sociétés civilisées». Les collectivités occidentales médiévales ont aussi eu à souffrir dans leurs chairs des impitoyables persécutions d’une Eglise inquisitrice, dont les battues multiséculaires auront irrémédiablement conduits au bûcher maints «hérétiques» et autres «suppôts du Diable».

CHAQUE peuple a eu à étrenner son épreuve du feu, avant de se découvrir peu à peu une conscience nouvelle, faite d’une meilleure acceptation de l’Autre, dans une dynamique de «commun vouloir de vie commune». Dans une ère surtout marquée par une incoercible globalisation qui, par la magie des Nouvelles technologies de l’Information et de la communication (Ntic), aura métamorphosé notre vaniteux globe terrestre en un certain «Village planétaire». Ainsi qualifié, à juste raison, par le regretté intellectuel canadien Herbert Marshall Mc Luhan, dans son célèbre ouvrage «The Medium is the Message». Qui alertait, avant l’heure, sur les effets pervers de la mondialisation dans le quotidien des prétentieux terriens que nous sommes.

C’EST indéniable, les peuples se sont considérablement rapprochés les uns des autres, au cours des siècles. Un brassage intellectuel et culturel s’est imposé de lui-même, rendant plus tangible cette notion de «Civilisation de l’Universel», si chère au premier président de la République du Sénégal, Léopold Sedar Senghor. Qui l’aura théorisé une décennie avant le canadien Mc Luhan !

SENGHOR, qui se plaisait à rappeler ses origines multiculturelles, où se mêlent «sang portugais», de par sa lignée patrilinéaire, et «peuhl», de par sa filiation maternelle, n’en revendiquait pas moins son statut d’intellectuel africain, pur produit de la culture «eurafricaine». Que n’a-t-il créer de néologismes pour magnifier cette vocation naturelle de l’Humain à s’ouvrir aux «apports fécondants» de l’Autre, après avoir naturellement satisfait à la première exigence de tout être culturel digne de cet attribut, à savoir : «l’enracinement préalable dans ses propres valeurs de civilisation» !

AINSI, de Léopold Sedar Senghor à Macky Sall – en passant par Maître Abdoulaye Wade, dont l’épouse, Madame Viviane Wade, originaire de Besançon, se plaisait à se définir comme «une Sénégalaise d’ethnie Toubab», à Abdou Diouf, dont la conjointe, Madame Elisabeth Diouf, aura pertinemment joué un rôle-tampon entre le Pouvoir et l’Eglise – les Sénégalais, dans leurs diversités ethniques et confessionnelles, auront eu l’heur de se mirer dans les altérités culturelles de leurs chefs successifs.

LE POINT saillant de la spécificité culturelle du peuple sénégalais reste sa grande capacité d’adaptation, d’ouverture et de tolérance. Lesquelles qualités lui auront permis d’avoir su porter au gouvernail de notre cher “Sunugal“, et sans à-coup, un premier chef d’Etat de confession catholique, L.S. Senghor, qui aura présidé, 20 années durant, à la destinée de ce peuple composé d’une forte majorité de musulmans ! Mais force est de constater, pour s’en satisfaire, que celui qui aura singulièrement incarné au sommet de l’État cette «exception sénégalaise» tant citée en exemple à travers le monde, aura été son dauphin constitutionnel et non moins successeur, le Président Abdou Diouf.

APRÈS 19 ans de magistère, celui-ci apparaît comme le patriarche d’une famille biologique dûment métissée, devenue le carrefour d’un véritable brassage culturel et confessionnel ! En effet, le Président Abdou Diouf “pilote” une fratrie se caractérisant par sa singulière mixité culturelle. Son épouse, Elisabeth, est restée catholique, pendant que lui est musulman. Son fils Habib a épousé une juive de Californie. La sœur aînée de ce dernier est catholique et a épousé un musulman. Pendant que Pape a fait le choix inverse : il est musulman et a épousé une chrétienne…

AINSI, presque toutes les religions révélées se retrouvent cristallisées dans la famille du 2e Président de la République du Sénégal, Abdou Diouf. Il est incontestable que la légendaire ouverture d’esprit du parrain de l’«ouverture démocratique sans restriction» de 1981, aura permis aux composantes de son auguste famille de s’initier très tôt à la culture de la tolérance et à l’acceptation de l’Autre. Dans une Afrique régulièrement agitée par les rivalités ethniques et l’intolérance religieuse !

CECI pour adresser instamment une modeste adjuration au landernau politico-médiatique où certains acteurs s’adonnent présentement (pour la galerie ?) à un périlleux exercice de jugement de valeur à connotation ethnico-régionaliste. Qu’il leur plaise d’aider notre pays à préserver sa précieuse «exception sénégalaise» ! Sans préjudice aucun, bien entendu, au rôle dévolu à chaque acteur du sérail, dans le concert du jeu démocratique et du pluralisme médiatique.

À L’INSTAR de tous ses prédécesseurs, le Président Macky Sall sait pertinemment – et c’est un truisme que de le (re)dire – qu’il lui serait utopique de prétendre faire l’unanimité. Le jeu démocratique s’en affaiblirait d’ailleurs lamentablement. C’est dans sa fatale destinée de clé de voûte des institutions de devoir essuyer des attaques en règles de ses contempteurs et potentiels rivaux. Le débat contradictoire demeurant la première richesse de la Démocratie. Mais ne serait-il pas également souhaitable, pour une préservation vitale de la cohésion nationale, de veiller scrupuleusement à circonscrire strictement ces légitimes antagonismes dans le champ exclusif de la confrontation des idées, des programmes et des projets de société ? Sans céder à la dangereuse tentation de titiller la fibre clanique, voire ethnique?

SURENCHÉRE pouvant insidieusement conduire sur les pentes glissantes de périlleuses dérives, dont la Nation pâtirait douloureusement. Et dont aucune composante, individuelle ou collective, de notre pays ne pourrait d’emblée se targuer de pouvoir s’en tirer à bon compte. Qu’à Dieu ne plaise !

D’AUTANT que, comme béni du Ciel, le peuple sénégalais, nonobstant sa forte diversité culturelle et confessionnelle, a réussi, grâce à Dieu, à tisser au fil des âges une radieuse identité nationale, lui ayant permis de “transcender” très tôt ses particularismes ethniques, se déclinant pourtant en pas moins de 28 groupes linguistiques ! Dont 6 (six) dialectes, déjà codifiées, disposent d’orthographes officiels, les outillant suffisamment pour pouvoir être pratiquées dans nos écoles. Même si l’édition de manuels scolaires appropriés reste à s’objectiver. Il s’agit (par ordre alphabétique) du Diola, du Mandingue, du Peuhl, du Sérère, du Soninké et du Wolof. Concernant cette dernière langue, la plus prégnante (80% de la population), il est fréquent de voir d’autres ethnies en user volontiers dans leurs propres terroirs, et parfois dans l’intimité familiale, comme outil de communication interne, entre leurs membres ! C’est cela aussi l’«exception sénégalaise»!

IL S’Y ajoute que la pratique de certaines traditions ancestrales, issues du fond des âges, comme les échanges de civilités et de présents entre personnes de différentes confessions religieuses – que l’on note avec satisfaction chez des voisins de quartier, catholiques et musulmans, à l’occasion des fêtes de Pâques et de l’Aid-El-Kébir, sous la forme, respectivement, de la succulente bouillie de mil à la pâte d’arachide (“ngalakh”) et du gigot de mouton – sont venues embellir cette cohésion sociale. Laquelle n’aura jamais été autant valorisée que par le fameux «cousinage à plaisanterie», dont la précieuse contribution à la promotion de l’unité nationale, soutenue par le bon voisinage intercommunautaire n’est plus à démontrer.

LE «COUSINAGE À PLAISANTERIE» n’aura jamais autant fortement soudé les rapports fraternels entre «Faléne» et «Sambéne», «Ndiayéne» et «Ndiobéne», «Séckéne» et «Nguéyéne», «Diarréne» et «Traoréne», etc. Hérité de nos lointains ancêtres, sa fonction de rapprochement social a achevé de cimenter une bienséance sociale bien sénégalaise, faisant, par exemple, qu’un «Sowéne», Halpular bon teint, peut croiser un compatriote «Diouféne», Sérère de lait, et le traiter allégrement d’«esclave» ou de «bouffeur de détritus». Et inversement. Sans que personne n’en prenne ombrage. Sinon d’en rire aux éclats ! Et ce n’est pas hasard si l’Anthropologie classique s’est toujours penché avec intérêt sur cette prédilection sociale ouest-africaine, que les sociologues reconnaissent aujourd’hui comme un facteur non-négligeable de renforcement de l’unité nationale. Et même de prévention des conflits sociaux et de «pacification des mœurs», pour reprendre l’expression du défunt ethnologue britannique Alfred Reginald Brown. Au point qu’un humoriste africain ne s’est pas privé de s’en inspirer, en ayant ce propos provocateur : «Le seul moment où Dieu rit, c’est quand deux cousins à plaisanterie se rencontrent» !

IL ME SEMBLE que la meilleure manière de rendre bonne justice à nos vaillants ancêtres, qui ont le grand mérite de nous avoir généreusement légué ces précieuses valeurs sociétales, serait de rejeter énergiquement toutes velléités de sédimentation dans nos mœurs politiques et médiatiques de fâcheuses tendances au flétrissement ou à la caractérisation ethnique. En arguant, par exemple, d’une «ethnicisation du pouvoir» ou en s’alarmant d’un quelconque «Nédo-kobandoisme» dans la conduite des affaires de l’Etat. Ou encore à attribuer des intentions irrédentistes occultes à tout leader politique, originaire du Sud ou du Nord du pays, dés lors qu’il nourrirait de légitimes ambitions nationales.

NOUS gagnerions assurément à nous en départir résolument. Pour de bon. Et au plus vite, pour éloigner à jamais le spectre de ces basculements brutaux, consécutivement à une atmosphère délétère, inconsciemment entretenue, et qu’une insignifiante étincelle aura embrasé de manière fulgurante. Et incontrôlable.

AU-DELÀ donc des rivalités politiques bien comprises, parce que nécessaires pour une bonne respiration de la Démocratie, la sauvegarde de cette «exception sénégalaise» – qui semble bien, jusqu’à preuve du contraire, nous porter bonheur – vaut bien tous les sacrifices. Voire toutes les concessions ! Et appelle à la responsabilité de tous et de chacun, afin que nous nous fassions un point d’honneur d’y veiller comme à la prunelle de nos yeux. Mais elle requiert surtout une grande vigilance de la part des acteurs de l’arène politique, qui peuvent légitimement croiser le fer à travers des confrontations d’idées, de programmes et de projets de société, tout en se gardant de s’aventurer sur le terrain glissant de la stigmatisation raciale ou ethnique.

LE CAS du Rwanda, tout proche, encore frais dans les mémoires, est suffisamment édifiant à cet égard. C’est bien la culture insidieuse de flétrissements similaires, exacerbés il est vrai par une terrifiante battue médiatique, à l’actif d’une certaine «Radio Mille Collines», qui aura conduit à la sanglante tragédie que l’on sait. Et dont ce pays frère peine encore, 27 ans après, à se remettre ! Une stigmatisation ethnicisante à outrance qui aura mis le feu au Rwanda, en 1994, entre Hutus et Tutsis, avec son bilan macabre de 900.000 morts, majoritairement civils. Une hécatombe dont aurait bien pu se passer ce pays frère, n’eût été le zélé clanique des va-t-en-guerre de la «Radio Mille Collines» et de leurs commanditaires, qui tiraient sadiquement les ficelles, avant de filer lâchement à l’anglaise.

LE SYNDROME DE «L’IVOIRITE» n’est pas en reste, pour avoir durablement traumatisé les populations civiles de la Côte-d’Ivoire, qui pleurent toujours leurs 3.248 morts, suite aux exactions sanglantes des “escadrons de la mort” et autres milices privées, tribales ou politiques, consécutivement à la crise post-électorale Gbagbo/Ouattara de 2010/2011.

LE TOUT-PUISSANT nous avait pourtant suffisamment prévenus dans ses Livres Saints : «Ô hommes! Nous avons fait de vous des Nations et des Tribus, afin que vous vous connaissiez. LE PLUS NOBLE d’entre vous, auprès d’Allah, c’est assurément LE PLUS PIEUX» (Sourate Al-Hujurat 49:13).

«L’ÉTERNEL ne considère pas ce que l’homme considère; l’homme regarde ce qui frappe ses yeux, mais l’Éternel regarde LE CŒUR» (Samuel16:7).

Qu’Allah protège et de bénisse notre cher Sénégal.

Mame Mactar Gueye

Secrétaire général du RDS

Vice-Président de JAMRA

Ongjamra@hotmail.com

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