Décembre 1982 – Décembre 2020 en Casamance… (Par JMB)

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Soit 38 ans de conflit armé, tantôt actif, âpre et rude quelquefois ; tantôt larvé, plus ou moins ; plus que moins de nos jours. On peut même affirmer, sans le moindre risque de se tromper, que le conflit casamançais, qui oppose l’Etat avec l’armée nationale et le MFDC avec sa branche armée Atika, est non seulement l’un des plus vieux sinon le plus vieux en Afrique subsaharienne, mais de très basse intensité, unique en son genre. Ce qui fait dire aux plus « imprudents » d’entre nous qu’il est mort de sa belle mort. « La guerre est finie », dixit Robert Sagna, président du Groupe de réflexion pour la paix en Casamance (GRPC).

Seulement, pour bien comprendre le « Monsieur Casamance » du président Macky Sall, il faut entendre son propos en diola, d’abord, même s’il l’a exprimé en français à l’intention prioritairement des maquisards du Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC) ; pour ensuite en retenir qu’il n’est en l’occurrence que l’expression d’une désolation ou d’un regret quant à la supposée extinction d’une guerre, la guerre en Casamance, faute de combattants.

Où l’on découvre que la fin du conflit en Casamance ne ferait pas que des heureux. Mais il faudra bien qu’il s’arrête, et de préférence qu’il se termine bien, un jour, c’est-à-dire demain. C’est en tout cas le vœu que nous formons.

En attendant, avec un tantinet de lucidité doublé peut-être de quelque once de cynisme, on pourra constater, certainement, que le MFDC, dans cette affaire, aura eu le mérite d’amener l’Etat avec l’armée nationale à lui déclarer puis à lui faire la guerre en Casamance, fût-ce malgré lui.

La Casamance est déclarée sénégalaise et les Casamançais, Sénégalais. Il n’empêche que les autorités ne trouveront pas mieux à faire, en son temps, l’instant précisément d’une saute d’humeur sociale collective en Casamance, que d’opposer l’armée nationale (en lieu et place donc de la police ou de la gendarmerie nationales) à ce qui deviendra peu à peu le MFDC, au moyen notamment d’une répression aussi surprenante et épidermique que féroce et disproportionnée.

L’irréparable est alors commis en termes de bévue politique. Erreur politique historique de la part de l’Etat, 1ère victoire politique du MFDC.

Viennent ensuite les inquisiteurs avec leurs opérations d’inquisition tous azimuts. Il va sans dire que tout Casamançais est réputé indépendantiste.

C’est alors le sauve-qui-peut, avec à terme d’innombrables mouvements de Casamançais à l’intérieur du pays et au-delà des frontières. On dénombrera des milliers de Réfugiés casamançais en Guinée-Bissau et en Gambie (en 1996 l’autorité en charge de la sécurité en Casamance estime leur nombre à plus de 22 000 pour la seule Guinée-Bissau, en 1997 le HCR en enregistrera 17 000 répartis entre la Guinée-Bissau et la Gambie, et en 2001 le nombre de déplacés ou réfugiés casamançais est estimé à 13% de la population de Ziguinchor) ; les arrestations se multiplient et des carrières professionnelles sont plombées, quand les victimes concernées ne sont pas purement et simplement radiées de leurs fonctions ; et l’appartenance sociologique étant ici un impératif catégorique, tous les Diolas sont déclarés indépendantistes et nombre d’entre eux le paieront au prix fort ; tandis que le MFDC ne sera plus que le MFDC, mais le MFDC plus les Réfugiés casamançais et autres Casamançais frustrés.

Ainsi, le MFDC va-t-il s’élargir et voir grossir ses rangs : il va faire des « petits », souvent à son corps défendant. C’est la 2nde victoire politique du MFDC. Et alors ?…

Alors, quand Salif Sadio qu’on ne présente plus dit qu’il a fait le serment de ne jamais se marier, ni de faire des enfants, tant qu’il est en lutte pour l’indépendance de la Casamance, il ne demande pas en retour qu’on le croie, puisque de toute façon l’affaire est entendue et qu’elle est de toute évidence sans objet, eu égard notamment à la Cause Casamançaise et aux enjeux multidimensionnels qu’elle sous-tend.

Salif Sadio, c’est connu, se suffit à lui-même dans « sa » lutte ; il se satisfait (de) et se complait dans ses propres certitudes et vérités. C’est-à-dire, toutes choses égales par ailleurs, comme jadis l’Abbé Augustin Diamacoune Senghor. « Je suis né indépendantiste (c’est impossible !) et je mourrai indépendantiste (c’est hautement probable !) », aimait-il à ressasser, et ça marchait plutôt bien.

En fait, le MFDC a fait beaucoup de « petits », aussi bien en Casamance qu’en Guinée-Bissau et en Gambie, et même partout ailleurs où sont exilés des indépendantistes casamançais supposés ou réels : tous les Casamançais, réfugiés ou exilés du fait de la guerre, sont des enfants putatifs du MFDC. Et alors ?…

Alors, les épiphénomènes que constituent respectivement les régimes politiques actuels en Guinée-Bissau et en Gambie, conjoncturellement favorables à Dakar, doivent être appréciés ou appréhendés pour ce qu’ils sont : soit des épiphénomènes.

Car, au regard de l’histoire du conflit casamançais, voire de l’histoire tout court, il faut être politiquement autiste pour ne pas voir ni admettre que le MFDC, en Guinée-Bissau comme en Gambie, a semé – mais alors il a semé ! – d’abord ; et qu’il en récolte et continuera d’en récolter les fruits, ensuite, nécessairement.

C’est pour ainsi rappeler, du moins s’il en est besoin, en notre qualité d’autorité politique et morale historique du MFDC, que, la Cause Casamançaise transcendant tout d’une part et Toutes et Tous d’autre part, seule une solution politique et institutionnelle négociée viendra à bout du problème éminemment politique et institutionnel de la Casamance, consubstantiel au conflit armé en Casamance.

Un regret cependant, un seul ! On peut en effet regretter que l’amateurisme politique soit la panacée au sein MFDC. De sorte que, à ce jour, il n’a guère su capitaliser ni transformer ses deux victoires politiques sus-évoquées en victoire diplomatique.

Il communique très mal, et très souvent faux ; jamais à temps mais toujours à contre temps. ‘‘La Voix de la Casamance’’ n’a guère survécu à la relative mort-politique de son fondateur, Mamadou Sané dit Nkrumah (exilé en France), alors que ‘‘Le Journal du Pays’’ parvient à peine à dépasser l’horizon de Ousmane Tamba (exilé en Suisse), son fondateur.

Et à quelque rare exception, les leaders du MFDC sont si immatures politiquement qu’ils sont incapables d’appréhender la Cause Casamançaise avec distance ou détachement. Dans leur imaginaire, celle-ci n’appartient pas à tous les Casamançais, indépendantistes et non-indépendantistes réunis, mais à eux seuls, sinon aux seuls indépendantistes, personnellement. Ils en font ainsi une affaire personnelle, ce qui en réalité n’est qu’une caricature, belle et innocente en son état passif, mais terriblement cruelle quand elle est active.

Le MFDC est hors-(géo)politique. Autrement dit, il est hors-jeu politique et géopolitique. Et c’est peu dire !

Qui plus est, son absence du champ politique, tant au niveau local que national, est la manifestation même de ce que le MFDC n’en finit pas de se chercher.

En dehors de la politique, souvenons-nous-en, il n’y a point de vision politique, ni à plus forte raison de volonté politique.

Or, en l’espèce, il revient au MFDC (mais guère l’inverse) d’imposer à l’Etat, par tous les moyens à sa disposition, sinon sa volonté politique, du moins une volonté politique, celle consistant précisément dans la résolution définitive du Problème Casamançais.

Dakar, le 22 décembre 2020.

Jean-Marie François BIAGUI

Président du Parti Social-Fédéraliste (PSF)

Ancien Secrétaire Général du MFDC

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