Les hommes politiques se succèdent et ne changent pas à un degré près dans leurs postures et démarches. Dans l’opposition, ils se battent en mettant à nu toutes les dérives du pouvoir. Mais, aux affaires, ils retournent leur veste.
Dans l’opposition, les hommes politiques ont le génie ou se font le devoir de débusquer les cafards du pouvoir. La plupart des opposants passent par ce processus qui leur permet « de donner une bonne information » à leurs concitoyens, selon leurs termes. De Diouf à Macky Sall, c’est ce que nous avons vécu. Aujourd’hui, encore, Sonko a pris le relais parce qu’il est arrivé sur la scène publique en 2017 au moment les gens avaient un immense besoin de savoir par rapport à eux-mêmes et par rapport au pouvoir, explique Pathé Mbodje qui cite également Abdoul Mbaye qui a fait la même chose quand il a quitté le pouvoir.
Pour le directeur de publication du journal Le Devoir, le problème est ici d’ordre moral. « Est-ce qu’après avoir eu accès à certaines informations en fonction de ses relations de travail pendant qu’on était en fonction, on peut les rendre sur la place publique ? Apparemment oui, puisque la société semble contente qu’on lui dise des choses sans savoir pourquoi le rapporteur ne les avait pas dites quand il était en fonction », soutient l’analyste politique. Pour lui, il ne peut avoir que des avantages pour celui qui fait ces déballages parce que les populations se contentent plus de ce qui se dit que de la manière dont ça se dit et de la façon dont ces informations ont été cachées par celui qui les dévoile.
Retour du bâton
Toutefois, le sociologue, Abdou Khadr Sanokho soutient que cette posture peut se retourner contre soi quand on est aux affaires. A son avis, cette posture est généralement le propre du politicien parce qu’il est souvent dans la propagande, la manipulation et même la victimisation tant qu’il est dans le camp de l’opposition. Mais, quand il est aux affaires, il joue un rôle de « moralisateur, de républicain, mais surtout d’exemplarité ».
Pour étayer ses propos, l’analyste politique cite « la jurisprudence Macky Sall », estimant que quand il a fait face à ce qu’il dénonçait hier en tant qu’opposant, il a « tout botté en touche ». Sanokho souligne que les opposants qui s’adonnent le plus à ce jeu de dénonciation ont souvent « un règne extrêmement difficile ». « Ce genre de posture est une patate extrêmement chaude qu’on a du mal à digérer le jour où on se retrouve aux affaires. Prenez le cas de Wade, farouche opposant de Diouf. Quand il est arrivé au pouvoir, on lui a toujours réchauffé la patate », rappelle-t-il.
La racine du mal
Abdou Khadr Sanokho note que cette situation est surtout facilitée par un « problème d’éducation, d’instruction, de discernement » du Sénégalais Lambda. « Quand on a du mal à discerner, on fait ce que Nietzsche qualifiait de troupeau qui croit à ce que tout le monde croit », note-t-il. Il estime que les « politiciens » ont tendance à jouer sur ce registre, avec tous les paradoxes, les contradictions qui montrent finalement le vrai visage de la politique, à savoir l’art « de parler, de convaincre ». « Ça remonte au propos de l’autre qui disait que le politique a tendance à vendre du mensonge et le plus grand mensonge, c’est de dire au peuple je suis de votre côté. Parce qu’en réalité, le jour où ils auront le pouvoir en main, ils vont l’utiliser à leur faveur et non pas à celle du peuple », rappelle le diplômé de sciences politiques. Et d’ajouter que ça corrobore également un principe selon lequel « la politique, c’est comme une voiture en panne portée par les populations et quand elle démarre jusqu’au niveau du pouvoir seuls ceux qui sont dedans vont se partager les dividendes, oubliant le peuple ». C’est également dans ce sens qu’Alpha Blondi parlait du « peuple meurtri qui fait semblant d’être content ».
Rupture
Selon lui, le salut ne viendra qu’avec une rupture avec cet aveuglement et cette posture de suivisme, de dogmatisme que les gens ont tendance à avoir vis-à-vis de l’homme politique, pourtant capable de faire « des erreurs ». Le sociologue note que les politiciens changeront le jour où les militants auront cette forte responsabilité de leur opposer leur désaccord. Parce qu’au Sénégal, « nous avons un problème d’appartenance. Quand le Sénégalais est affilié à un parti, une confrérie, une association, tout ce que son leader dit, c’est vrai… »
Thialice SENGHOR
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