De l’immense responsabilité des intellectuels sénégalais

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Un proverbe d’Afrique nous enseigne que « c’est souvent l’homme pour qui tu es allé puiser l’eau dans la rivière qui a excité le léopard contre toi ». C’est dire la délicatesse du travail de réflexion de l’intellectuel sénégalais dans un contexte marqué par le « prêt-à-penser » de certains et le jeu d’influence de forces intéressées qui se sont invitées au débat public et à l’action nationale.

Comment s’assurer que la victimisation ambiante n’est pas uniquement un camouflage du buveur d’eau et du léopard ? Ceux qui ont choisi l’intensité d’une réflexion comme activité ont-ils le droit de ne laisser parler que leur cœur ou leur primaire perception suscitée ? Ils ont certes ces intellos le droit d’être des partisans même sur la base de l’intime et souvent irréfléchie conviction. Ont-ils toutefois sur l’accoudoir de la prise de parole ou de plume publique le droit de faire abstraction du contexte africain et de l’environnement global dans leurs avis urbi et orbi ?

Ont-ils le droit de céder à ce que Sir Henry David Thoreau appelait « la tyrannie de l’opinion publique » ? Ont-ils le droit de se tromper dans la hiérarchisation des combats si tant est que tout est combat  ? Un intellectuel sénégalais a-t-il le doit de censurer sa responsabilité pour ses désirs ou de réagir plutôt que d’agir ?

Ces questions essentielles interpellent dans le contexte actuel dont la délicatesse a fini d’essaimer en grappes de stress et d’interrogations.
Au Sénégal, nous devons comprendre que le « logiciel » qui a jusqu’ici fonctionné n’avait pas l’explosivité du gaz et du pétrole dans les veines. Avec ces nouvelles découvertes, notre pays change d’ADN pour devenir trop intéressant pour les multinationales, trop stratégique pour les grandes puissances, trop préoccupant pour les concurrents pays pétroliers et gaziers, trop prioritaire pour les chercheurs de bases de déploiement idéologique, politique, culturel et/ou cultuel.

Nous devons refuser par la plume et l’acte que notre pays soit une zone d’influence des aventuriers du monde. L’arbre Sénégal n’a pas seulement que des fruits mûrs. Il a du gaz et du pétrole commercialisable cette année 2023 et qui, petit à petit, nous feront entrer à vitesse grand une dans un univers impitoyable de jeu d’intérêts vitaux.
L’intellectuel sénégalais doit se rappeler que depuis plus d’un siècle, la plupart des guerres ont pour motivation le contrôle des ressources énergétiques notamment pétrolières ou gazières et l’Afrique en a payé un très lourd passif.

Au début, plus directes et brutes, ces guerres souvent suscitées sont devenues plus insidieuses par l’utilisation des peuples à qui il est loisible de faire miroiter plus de démocratie et de libertés. Depuis le « printemps arabe » et même bien avant, ceux qui programment les guerres le font sous l’angle de fausses révolutions par dressage des peuples contre les États.

Après ces printemps, point de bon temps sinon une fragilisation des États qui laisse des couloirs de pillage à ciel ouvert ou fermé des ressources.
Un intellectuel qui fait abstraction du changement du « logiciel Sénégal » et qui reste dans un microcosme fait de snobisme théorique court le risque d’éclairer un jour ses futurs écrits à la lueur des feux que sa plume aura contribué à sciemment ou par maladresse allumer. Les intellectuels doivent penser le Sénégal et ne pas attendre les « actions de foule » pour panser les plaies et pleurer les morts.

A qui profiterait une implosion ou même l’explosion ? D’abord à ceux qui, pour des raisons évidentes ou enfouies, ne veulent pas d’un Sénégal pétro-gazier stable et libre. En vérité, la réflexion stratégique ne saurait occulter ces deux impulseurs (pétrole et gaz) du nouveau « logiciel Sénégal ».

A vrai dire les aventuriers qui veulent affaiblir le Sénégal ont depuis plusieurs années agi beaucoup plus sur la perception collective que sur le reste. A coût de slogans simplistes et populistes portés par des influenceurs activistes, ils ont insufflé une perception populaire déformée sur le management du pétrole et du gaz et sur les fondements culturels et cultuels de notre pays. Un ami m’apprenait que quelqu’un a dit à son fils adolescent que le Gouvernement a vendu tout notre pétrole. Imaginons le comportement de cet ado et sa réaction vis-à-vis de l’autorité sur la base de propos mensongers distillés. En 2019, à la suite d’un de mes posts sur Facebook, un jeune m’interpelait sur les contrats pétroliers. Je lui donnais le lien du site de l’initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE) dans lequel le Sénégal a publié en ligne tous les contrats pétroliers et gaziers. Après consultation, la réponse du jeune fut riche d’enseignements. « Pourquoi vous les laissez mentir ? » avait-il écrit. En vérité, le problème n’est pas seulement dans les récepteurs, mais dans l’absence de masse critique d’émetteurs d’informations justes et avérées. Un autre jour en 2021, je prenais un taxi. En cours de route, j’expliquais en langue nationale au taximan les contrats de recherche et de partage de production et les principes de la loi sur le contenu local dans les hydrocarbures. Après mes explications, le taximan me dit : « Pourquoi le régime ne l’explique pas clairement au peuple dans toutes les langues nationales ? ». C’est dire que le ver de la désinformation est depuis le début dans le fruit avec l’aide d’une opposition pressée. Ce qui est grave, c’est de voir des intellectuels sénégalais faire fi des contrats et des dispositions prises pour allègrement participer à l’œuvre obscurantiste de désinformation aux conséquences destructrices énormes. Il est certes vrai qu’il y a des améliorations à faire, mais de là à jeter le bébé avec l’eau du bain, il y a un pas d’irresponsabilité inadmissible pour un intellectuel sincère. Certains concitoyens jugent le global à partir du particulier. Il arrive que le comportement anachronique avéré et flagrant de certains « marins à bord » pousse au jugement sombre sur le capitaine du navire. Justement, l’intellectuel doit éviter cette façon de voir et de faire. Son rôle n’est pas de demander coûte que coûte qu’on jette le capitaine par-dessus bord, mais plutôt de se battre pour créer une masse critique de bons marins à bord quitte à être embarqué lui-même pour mieux aider à mener le navire à bon port.
A l’aune de l’exploitation intense du pétrole et du gaz, si des intellectuels sénégalais sont du lot des manipulés par la grande coalition internationale subversive contre notre pays, ils auront à se justifier devant l’histoire pour n’avoir pas vu venir ou pour avoir vu et choisi de se cacher derrière un petit doigt. Il faut à notre avis une grande contre-coalition d’intellectuels sénégalais pour déjouer la vaste entreprise de déstabilisation morale, spirituelle, communicationnelle et physique de notre beau pays. Le problème du Sénégal n’est pas dans la démocratie et les libertés qui sont consacrées avec des règles et échéances précises. Notre problème est dans notre comportement face aux nouveaux enjeux, aux nouveaux défis et aux nouvelles velléités de caporalisation des intérêts de notre pays. Les tentatives de caporalisation passent hélas par le dressage des peuples contre les États pour créer assez de tirs amis afin de récolter et rapatrier in fine les fruits de « l’économie de chaos ». C’est en ce sens que l’intellectuel doit éviter de « donner de l’eau à boire à celui qui rêve d’amener le léopard dans la maison ». Certains ont compris les enjeux et se battent pour le faire savoir. D’autres intellectuels qui sont déjà dans les bras de morphée simplistes du populisme ambiant semblent craindre de prendre leurs responsabilités. Est-ce simplement de la peur ou sont-ils aussi sous influence des manipulateurs intéressés ? Je n’ose croire en cela puisqu’un intellectuel doit savoir au moins comme nous l’enseigne la sagesse africaine que « la gueule d’un canon est moins dangereuse que la bouche d’un calomniateur ». Tout est en gravité extrême dans la calomnie, le mensonge à l’échelle industrielle et le refus d’autorité qui mènent tous fatalement vers le « refus d’Etat » semence du chaos. Tout est comme dirait l’homme de gauche dans « l’analyse concrète de la situation concrète ».
Notre pays a besoin d’une bonne piqûre de rappel patriotique pour faire bloc autour de l’État et des institutions en ces moments terriblement décisifs. Après ce sursaut patriotique pour contenir le tsunami programmé par nos adversaires, nous pourrons retourner à nos divergences amicales de conception et d’action en ayant pour balise les vigilances requises du « nouveau logiciel-Sénégal ».

Mamadou Ndione
Économiste Écrivain
Maire de Diass

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