De la problématique des médicaments de qualité inférieure : l’exception sénégalaise ?

Partager l'article

Le décès d’une soixantaine d’enfants consécutif à la prise de sirops contre la toux en Gambie est le prétexte pour partager cette contribution sur une question de santé publique d’une brulante actualité. La problématique de la qualité des médicaments et les dangers du marché illicite des produits pharmaceutiques au Sénégal sont passés en revue de façon succincte à travers les lignes qui suivent. D’autres réflexions sur les enjeux essentiels et les perspectives de la pharmacie et du médicament particulièrement au Sénégal suivront prochainement.

Le médicament, une définition maîtrisée

Le médicament est toute substance, composition ou préparation présentée comme possédant des propriétés curatives ou préventives à l’égard des maladies humaines ou animales et conditionnée en vue de l’usage au poids médicinal, ainsi que tout produit pouvant être administré à l’homme ou à l’animal, en vue d’établir un diagnostic médical ou de restaurer, corriger ou modifier leurs fonctions organiques. D’autres produits considérés comme médicament figurent sur une liste établie légalement. Le médicament relève du monopôle pharmaceutique pour une meilleure protection de la santé publique. Il ne s’agit guère d’un privilège accordé à des spécialistes appelés ‘’Pharmaciens’’ mais d’une lourde responsabilité sous serment qui requiert éthique professionnelle et déontologie.

Par ailleurs, la définition et le contexte des produits médicaux de qualité inférieure falsifiés (QIF) de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) montrent les différences entre le terme “produits médicaux contrefaits” et les autres termes utilisés.

Contrefaçon, malfaçon, falsification : une terminologie dynamique sujette à interprétations et consensus  

Le concept “Contrefaçon” n’a pas facilité la collaboration dans la lutte contre les mauvais médicaments tant au niveau international qu’au sein d’un même pays. 

Du point de vue de la santé publique, la seule question à prendre en compte est celle qui a un impact sur la santé des patients, et donc sur la qualité du médicament. Les médicaments de mauvaise qualité, qu’ils soient falsifiés ou de qualité inférieure, doivent être la seule cible des autorités sanitaires et de toutes leurs actions.

Les choses sont très différentes d’un point de vue juridique. Le législateur, lui-même, doit différencier la falsification (altération délibérée et frauduleuse d’une substance ou de tout autre élément dans l’intention de tromper) qui relève du droit pénal, et les fraudes qui relèvent du droit civil. Il s’agit de la violation des droits de propriété intellectuelle : imitation volontaire d’une marque légalement enregistrée.

La contrefaçon de brevet, terme désignant un médicament générique qui circule sur un territoire donné alors que sur ce territoire, le médicament original est protégé par un brevet.

Le médicament “non autorisé”, un médicament de bonne qualité qui circule sur un territoire sans statut réglementaire (autorisation de mise sur le marché, autorisation d’importation, etc.).

Légalement, un médicament contrefait est un médicament falsifié (qui comprend de fausses informations) qui viole en outre les lois sur la propriété intellectuelle (qui imitent volontairement une marque déposée) : il est donc passible de sanctions tant pénales que civiles. 

Il convient de noter que le concept d’intention délibérée est essentiel pour définir un produit falsifié. Ainsi, les produits d’un fabricant qui a intentionnellement et sciemment ignoré les Bonnes Pratiques de Fabrication pourraient être considérés comme falsifiés.

Le terme “contrefaçon” englobe très souvent la violation de la propriété intellectuelle, la contrefaçon de brevet et les médicaments “non autorisés”. Ce terme est largement utilisé à la place du terme

“falsification”, qui traite de la même manière les médicaments réellement frauduleux et dangereux ; les génériques de qualité, qui circulent parfois même légalement et les médicaments qui circulent sans autorisation mais qui peuvent être de bonne qualité.

D’un point de vue juridique, le critère universellement reconnu est l’intentionnalité de la fraude. Elle doit être prise en compte en cas de contrefaçon mais est toujours très difficile à prouver. Même prouvée, la nature intentionnelle de la fraude commerciale ne caractérise pas en fait l’intentionnalité du délit final (en termes de santé publique).

Compte tenu des limitations du terme “contrefaçon” décrites précédemment et des questions relatives à la propriété intellectuelle et à la contrefaçon de brevets, ce terme a été abandonné. 

Parfois, la différence est faite par rapport au fabricant. Si le fabricant est reconnu sur le marché, il s’agit d’un médicament de qualité inférieure (malfaçon) et si le fabricant est inconnu, il s’agit d’un médicament falsifié (falsification). Cette approche est intéressante, mais elle ne s’applique que partiellement dans la mesure où il peut y avoir des copies de produits provenant de fabricants reconnus ou de fabricants reconnus qui ne rappellent pas les produits de qualité inférieure. 

En 2017, le consensus autour des produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés (QIF) a progressé et les pays ont convenu d’utiliser une définition simplifiée “Produits médicaux de qualité inférieure et falsifiés (QIF)”. Elle a été adoptée le 29 mai 2017 lors de la 70e Assemblée mondiale de la santé à Genève, en Suisse. Elle distingue : 

  • Les produits médicaux de qualité inférieure : aussi appelés “hors spécifications”, il s’agit de produits médicaux autorisés qui ne répondent ni à leurs normes de qualité ni à leurs spécifications, ou aux deux. 
  • Les produits médicaux falsifiés : produits médicaux dont l’identité, la composition ou la source sont délibérément ou frauduleusement déformées. 
  • Les produits non enregistrés / sans licence :  les produits médicaux qui n’ont pas été évalués et/ou approuvés par l’autorité régulatrice pour le marché sur lequel ils sont commercialisés/distribués ou utilisés, sous réserve des conditions prévues par la réglementation et la législation nationales ou régionales.

Des produits aux conséquences néfastes

De tels produits peuvent entraîner une méfiance à l’égard du système de santé, des institutions publiques et des professionnels de la santé, une résistance aux antimicrobiens, des intoxications aigues ou chroniques, des effets socio-économiques désastreux (appauvrissement, absentéisme, perte de compétitivité, etc.). Leur commerce constitue une concurrence déloyale, propage d’autres activités criminelles connexes et des corruptions. L’ampleur des dégâts causés par ces produits est loin d’être parfaitement connue. Les victimes, difficiles à estimer et très nombreuses, sont privées de leur droit à réparation. 

Historique de l’empoisonnement aux dérivés glycolés contaminant des médicaments

Les dérivés glycolés sont des composés chimiques ayant divers usages (solvant industriel, antigel, ingrédients pharmaceutiques, etc.). Dans l’industrie pharmaceutique le glycérol  principalement et le propylène glycol accessoirement sont utilisés dans la fabrication de formes pharmaceutiques buvables dans lesquels ils servent entre autres d’édulcorant, de conservateur. La complexité dans la distribution du glycérol et de beaucoup d’autres matières premières à usage pharmaceutique faisant intervenir plusieurs acteurs rend nécessaire leur identification correcte et leur certification mais aussi celles des produits finis en contiennent. 

Le  glycérol est souvent contaminé par d’autres dérivés comme le diéthylène glycol (DEG), qui lorsqu’il est ingéré, affecte le système nerveux central, le foie et les reins.  Des niveaux élevés de DEG peuvent entraîner la mort par insuffisance rénale notamment chez les enfants. La dose fatale chez l’adulte est estimée à 1mL/Kg de DEG pur. 

Avant l’épidémie d’empoisonnement rapportée entre fin septembre et début octobre 2022 en Gambie et qui auraient entraîné la mort de 66 enfants, ces intoxications massives après consommation de divers produits pharmaceutiques contaminés par le DEG ont été largement décrites dans plusieurs pays et datent de longtemps : Etats-Unis (1937, 105 morts), Afrique du Sud (1969, 7 morts), Espagne (1985, 5 morts), Inde (1986, 21 morts ; 1998, 33 morts ;1998, 8 morts), Nigéria (1990, 47 morts ; 2008, 84 morts), Bengladesh (1990-1992, 236 morts), Argentine (1992, 29 morts), Haïti (1996, 88 morts), Panama (2006, 78 morts), Chine (2006, 12 morts) (LEO J et al., 2009).  Ces empoisonnements à grande échelle se sont produits principalement dans les pays en développement et ont été associés à un respect inadéquat des pratiques de fabrication sûres ou à ce qui semble être des pratiques de fabrication de médicaments intentionnellement trompeuses. 

 Dans la plupart de ces intoxications de masse, le glycérol ou le propylène glycol étaient les diluants prévus. Étant donné que ces diluants ont des méthodes de fabrication différentes et qu’aucun ne produit de DEG en tant que sous-produit, de simples erreurs de contamination croisée lors de la fabrication ne sauraient expliquer la présence fréquente de DEG dans les produits pharmaceutiques. Le DEG étant trois fois moins cher que ces solvants de qualité pharmaceutique, une substitution à motivation économique a été suspectée dans plusieurs épidémies antérieures.

La mondialisation de la fabrication et de la distribution pharmaceutiques a accru le besoin d’une réglementation plus uniforme et d’une coopération internationale. Ces mesures répondent à des vulnérabilités spécifiques dans la production, l’inspection et la distribution de produits pharmaceutiques à l’échelle internationale. Les pays qui appliquent de manière inadéquate des normes de fabrication sûres, ne disposent pas de systèmes de contrôle de qualité performants ou manquent de programmes de formation adéquats demeurent à risques d’empoisonnements associés aux médicaments. La Gambie ne disposant pas d’un Laboratoire de contrôle de qualité des médicaments fonctionnel, demeure exposée à la circulation de médicaments de qualité douteuse.

Conernant cet événement malheureux survenu en Gambie, le rapport d’imputabilité des décès aux médicaments contaminés permettra aux autorités sanitaires de prendre les mesures appropriées. Aussi, les teneurs en DEG trouvées dans les échantillons analysés devraient être publiées.

Au-delà de cette toxicité rénale aigue, la présence insoupçonnée de ce contaminant et aussi d’autres impuretés non caractérisées dans certaines formes pharmaceutiques pourrait être à l’origine d’autres formes d’intoxications chroniques. La prise en charge de cette question rentre dans le cadre des vigilances pharmaceutiques, du contrôle et de la surveillance du marché. 

Le Sénégal est-il à l’abri ?

Le Sénégal a une tradition de régulation pharmaceutique (Homologation, Inspection, Vigilances, Affaires réglementaires, Contrôle de qualité et Surveillance du marché, etc.)  qui lui permet d’approvisionner son marché en produits pharmaceutiques globalement de qualité malgré la forte dépendance extérieure. Nous saisissons cette opportunité pour rendre hommage à nos maîtres qui ont tracé la voie de la régulation pharmaceutique au Sénégal et souhaiter plein succès à l’actuelle équipe en charge de la régulation pharmaceutique sénégalaise. 

Les autorités sénégalaises semblent aussi bien conscientes des enjeux de la souveraineté pharmaceutique adossée à une industrie pharmaceutique locale compétitive et un approvisionnement de qualité encadré par une régulation forte et efficiente.

La création de l’Agence sénégalaise de Réglementation Pharmaceutique (ARP) par décret n°2022-824 du 07 Avril 2022 devrait hisser le Sénégal au rang des pays à niveau de maturité élevé selon la classification de l’OMS. Une accréditation et/ou pré-qualification des services des laboratoires de l’ARP confirmera et renforcera leurs capacités et compétences techniques pour mieux garantir la qualité, l’efficacité et l’innocuité des produits pharmaceutiques. Certes, il y aura un coût à cela mais le jeu en vaudra bien la chandelle.

En effet, à chaque intoxication massive, ce sont des analyses de laboratoire et des technologies appropriées qui ont permis de détecter les contaminants inconnus à l’avance. D’où l’intérêt de disposer de laboratoires capables de relever continuellement le défi de la prévention et de la qualité, de l’efficacité et de la sécurité des produits de santé conformément aux recommandations de l’OMS.

Aussi, la promotion de la production pharmaceutique locale permettra de réduire les risques liés aux médicaments de qualité inférieure et falsifiés. En effet, il est admis que les chaînes de production avec de multiples sous-traitants provoquent des pénuries ou des médicaments QIF, alors que les chaînes de production plus courtes et directes les réduisent.

Cependant, tous les efforts de l’Etat sénégalais demeurent entachés, souillés, contrecarrés voire annihilés par un marché illicite florissant avec des acteurs à visages découverts qui ont pignon sur rue. La question semble sensible voire taboue mais un changement de paradigme s’impose avec pédagogie.

Dans ce contexte de flagrance et d’incertitudes sur la qualité de certains produits pharmaceutiques, le Sénégal ne saurait être à l’abri de risques iatrogènes consécutifs à la consommation de produits échappant à tout contrôle technico-réglementaire. 

Aussi semble-t-il pertinent, chez certaines catégories de malades bien identifiées, de mener des études de corrélation entre l’apparition de la maladie et la fréquentation du marché illicite des médicaments.

Comme le dit l’adage attribué à Shakyamuni Buddha : « Les peuples vigilants ne meurent pas ; les peuples négligents sont des morts en sursis ». 

Les perspectives 

Sans triomphalisme prématuré, l’espoir est permis avec les réformes en cours, la promotion effective de l’industrie pharmaceutique locale, la réadaptation continue des curricula avec des offres de formation bien réfléchies, encadrées, optimisées et orientées prioritairement sur les besoins du marché.   

Aussi conviendrait-il de saluer le travail remarquable effectué par les forces de défense et de sécurité avec une mention spéciale aux services de la douane pour les records de saisie de médicaments frauduleux réalisés ces derniers temps.

Prévention, Détection et Intervention constituent la pyramide des solutions reconnues contre les médicaments QIF. A cet effet, la sensibilisation communautaire apparaît primordiale.

Davantage de rigueur et de fermeté semblent nécessaires dans l’application de la loi pour la protection de la santé publique, et mettre hors d’état de nuire les marchands de la mort. 

La ratification de la Convention MEDICRIME et son incorporation dans le corpus juridique, législatif et réglementaire national devrait contribuer efficacement à l’éradication du marché illicite du médicament. Relever un tel défi demeure une condition sine qua none à la réussite de toute politique pharmaceutique nationale.

M. Serigne Omar SARR, PharmD, PhD

Professeur Titulaire des Universités, Faculté de Médecine, de Pharmacie et d’Odonto-

Stomatologie, Université Cheikh Anta DIOP; serigne.sarr@ucad.edu.sn

Membre du Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*