La compagnie nationale Air Sénégal a présenté la semaine dernière sa stratégie pour faire de Dakar un hub aérien. L’idée est de miser sur la position géographique du Sénégal et l’existence d’un pavillon national qui a une flotte acceptable pour pénétrer efficacement la sous-région africaine. Il s’agit de faciliter également pour la clientèle sénégalaise et africaine le ralliement de l’Europe et l’Amérique à partir de Dakar. Un changement d’horaires sur les vols entre Dakar et Paris est un premier pas en ce sens. Cette stratégie de hisser Dakar en pôle aérien est pertinente dans la mesure où elle accroîtra le flux de passagers vers le Sénégal et permettra une opération à plein régime de la compagnie et de ses aéronefs. Elle garantira également une génération d’emplois directs et indirects tant du secteur aéronautique que dans des secteurs connexes. Une création d’attrait sur la destination Dakar avec un aéroport performant, ainsi qu’une offre intéressante de destinations à un coût raisonnable par une compagnie internationale pourraient grandement aider dans la sous-région ouest-africaine. Air Sénégal pourra faire transiter par Dakar des passagers provenant de Bamako, Conakry, Ouagadougou et autres, à destination de Paris, New York ou Washington ou Milan.
Tout voyageur africain fait face au terrible problème que sont les difficiles connexions aériennes des capitales africaines. Pour certains voyages sur le continent, le voyageur africain met un temps égal à des vols long courrier au sein d’aéroports pour du transit, vu l’absence de vols directs. Il arrive que des voyageurs trouvent plus pratique, pour se déplacer sur le continent africain, de prendre un avion jusqu’à Bruxelles, Paris, Londres ou Genève pour ensuite trouver une ligne disponible pour une capitale africaine.
Il s’y ajoute que la Banque mondiale, dans une étude sur le transport aérien en Afrique, renseignait que les voyages en avion sont les plus appropriés pour circuler sur le continent. Entre les questions de désenclavement de certaines zones, l’absence d’infrastructures routières et ferroviaires d’envergure pour relier les grandes capitales et l’étendue du continent, la partition du transport aérien pour une meilleure intégration de l’Afrique est plus qu’essentielle.
La stratégie d’Air Sénégal de faire de Dakar un hub aérien, venant en réponse à ces difficultés de mobilité sur notre partie du continent, est ambitieuse. Les premiers pas posés avec l’ouverture de huit nouvelles lignes seront à étudier avec le démarrage de ces dessertes. Son succès jouera pleinement à l’atteinte d’objectifs économiques au Sénégal en plus de résoudre un casse-tête permanent pour tout voyageur sous nos cieux.
Addis-Abeba, Nairobi et Casablanca l’ont fait
Les stratégies de faire de pays africains des carrefours du transport aérien pour faciliter la mobilité ont plutôt réussi sur différentes régions du continent africain. En Afrique du Nord, en Afrique de l’Est comme en Afrique australe, des grandes capitales ont pu être positionnées comme des plateformes incontournables pour rattacher les villes du continent entre elles et au monde entier. Pour le Maroc, l’Ethiopie et le Kenya, les compagnies nationales ont pu, avec des stratégies pensées sur un long terme, faire de leurs capitales respectives des hubs régionaux, puis mondiaux du transport aérien. La Royal Air Maroc qui, partant de huit avions en 1957, dispose maintenant d’une flotte de plus de 61 avions, à partir de sa base de Casablanca, a pu faire de son pays une étape obligée entre l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Europe et l’Amérique. Avec une flotte consistante, elle arrive à desservir nos pays et à proposer le ralliement de plusieurs points dans le monde. Le nombre de vols quotidiens de la Royal Air Maroc entre Dakar et Casablanca des deux sens (trois à quatre vols quotidiens) donne une idée claire de l’importance du flux de voyageurs et de la rentabilité des dessertes de la sous-région ouest-africaine en l’ouvrant au monde. Les habitués de l’axe Dakar-Casablanca peuvent se rendre compte que le fort taux de remplissage des vols s’explique par les continuations que peut offrir le hub de Casablanca. L’Ethiopie et le Kenya ont, avec leurs compagnies nationales, permis plus de dessertes entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique de l’Est. En plus d’offrir une ouverture sur l’Asie, Addis-Abeba et Nairobi permettent de voyager en Afrique centrale et en Afrique australe avec des offres régulières de vols. Depuis la création des compagnies nationales de ces deux pays, leurs flottes aériennes respectives sont bien étoffées. Ethiopian Airlines, détenue à 100% par l’État éthiopien, disposait de 2 avions à son lancement en 1947 et est arrivée à exploiter 96 appareils en 2019 et a passé une commande de 61 nouveaux appareils. Kenya Airways, fondée en 1977, dispose à la date de ce jour de 32 appareils en exploitation. La Royal Air Maroc prévoit de mettre 105 appareils en exploitation à l’horizon 2025.
La rentabilité est donc au rendez-vous. Ces compagnies aériennes fournissent chacune des milliers d’emplois qualifiés et participent fortement au développement économique de leurs pays respectifs. Aussi, elles génèrent de manière conséquente de la plus-value pour les industries connexes, dont celle du tourisme. Si Casablanca, Nairobi ou Addis-Abeba, toutes trois des villes africaines, ont pu tenir un tel pari, il semble à portée de main pour Dakar, encore que les efforts nécessaires soient fournis et l’implication de tous soit plus qu’effective.
Des clés pour une réussite
L’atteinte d’un statut de hub aérien avec un objectif de 3 millions à 4 millions de passagers d’ici l’horizon 2025 nécessite mesures et accompagnements sincères. Il y a quelques semaines de cela, nous nous interrogions dans ces colonnes sur la pertinence d’un visa sénégalais évoqué pour des raisons de sécurité. L’ambition de faire de Dakar un hub des transports aériens et la relance du secteur touristique toujours en cours s’opposent logiquement à une telle mesure. Avec la stratégie sur laquelle l’Aéroport international Blaise Diagne (Aibd) et Air Sénégal s’alignent, une telle mesure viendrait comme une sacrée fausse note à la symphonie que notre pays veut composer. A un autre niveau, la stratégie de faire du Sénégal un hub appelle à un soutien de tous. Le fait que certaines autorités et personnalités publiques prennent volontairement Air Sénégal pour leur déplacement est à saluer et à encourager. C’est par de tels exemples qu’un engouement peut être créé. Le chef de l’État Macky Sall ne s’y est pas trompé en embarquant dans la compagnie nationale sur certains de ces derniers voyages. L’État du Sénégal devrait rendre obligatoire la préférence d’Air Sénégal à toute autre compagnie sur les destinations desservies par la compagnie nationale. Des pays comme les Usa par exemple imposent à leurs agents publics de prendre systématiquement une compagnie américaine sur toutes les destinations desservies par des avions battant pavillon américain.
Certains observateurs, au vu des propositions faites par Air Sénégal, s’interrogent à raison sur la possibilité de desservir toutes les destinations proposées. La compagnie nationale compte 5 avions (2 Airbus A319, 2 Atr72-600, 1 A330 Neo), un sixième (de type A330 Neo) sera réceptionné prochainement. L’exploitation de tous ces avions nous édifiera, mais il faut dès à présent penser à une expansion de la flotte avec des avions aux prix d’acquisition plus abordables et surtout adaptés à des vols de voisinage. Le développement des partenariats dans le cadre des alliances stratégiques entre compagnies semble également essentiel pour offrir plus d’options et parer à d’éventuels troubles. La desserte des villes intérieures devra aussi être assurée de manière plus optimale. L’idée de permettre à Air Sénégal d’utiliser l’aéroport Léopold Sédar Senghor pour les vols intérieurs est aussi à étudier. La compagnie sénégalaise nourrit des ambitions qu’elle est seule à avoir véritablement dans la sous-région, et un échec ne lui serait pas pardonné. Air Côte d’Ivoire comme Asky, qui auraient pu se positionner comme des rivales sérieuses semblent avoir été conçues pour être des supplétives pour les mastodontes que sont Air France et Ethiopian, respectivement. Leurs ambitions ne pourraient jamais dépasser la volonté de puissance de leurs partenaires. Il n’en demeure pas moins que les responsables de l’exploitation d’Air Sénégal auront beaucoup à combattre de nombreux travers comme un laxisme et une désinvolture coupable dans les relations avec la clientèle. Air Sénégal ne devrait avoir le moindre complexe devant aucune compagnie au monde pour la qualité de ses avions et doit en conséquence exiger de son personnel une qualité de service à la hauteur des attentes des voyageurs. Des passagers qui ont fait le voyage de Dakar à Paris en classe économique par exemple ont pu relever une forte médiocrité dans la qualité des services offerts que cela en était incroyable. De même, alors que les aéronefs ont été payés tout neufs, certains sièges commencent à présenter un état de vétusté qui dénote d’un évident défaut d’entretien.
Les débuts ont pu être difficiles pour Air Sénégal avec une stratégie qui n’était pas claire, des contraintes liées à une opérabilité rapide. Nous avions eu à le souligner dans ces colonnes, surtout que le top management ne semblait pas trop attacher un prix aux intérêts du Sénégal dans les premières négociations. Les échecs des compagnies nationales sénégalaises que furent Air Sénégal international et Sénégal airlines, en plus du climat social délétère et du préjudice subi par des centaines de travailleurs, sont toujours dans les mémoires. Avec cette nouvelle impulsion, des gages d’une croissance étudiée et d’une expansion visant à être incontournable sont bien possibles. Une compagnie comme Delta airlines avait à ses débuts, en 1929, eu à transporter cinq personnes pour son premier vol entre les villes de Dallas et Jackson au Mississippi. Après 90 ans d’exploitation, les fondateurs seraient bien fiers de ce qu’est devenu le géant américain des transports aériens. Qui sait, l’histoire de notre compagnie nationale pourra être belle pour les générations à venir !
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