Coup d’État au Niger: pourquoi une intervention militaire du Nigeria n’est pas si simple?

Partager l'article

Le président en exercice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et chef d’État du Nigeria, Bola Ahmed Tinubu, fait face à la défiance de l’opinion publique de son pays et à la frilosité du Sénat, au sujet d’une éventuelle intervention militaire au Niger.

Les Nigérians semblent plus unis que jamais dans leur refus de voir leur pays s’engager au Niger dans une opération militaire conjointe de l’organisation ouest-africaine. Plusieurs leaders islamiques de premier plan, des gouverneurs, des associations de jeunes et la plupart des partis d’opposition ont fermement mis en garde contre une telle option, ces derniers jours. Des réticences particulièrement remarquées chez les sénateurs nigérians, qui se sont exprimés à la veille de l’expiration de l’ultimatum lancé par la Cédéao pour rétablir l’ordre constitutionnel au Niger.

Les réticences des sénateurs

À l’issue d’une réunion à huis clos qui a duré plusieurs heures, samedi 5 août, le président du Sénat avait en effet demandé à Bola Tinubu « en tant que président en exercice de la Cédéao, d’encourager les autres leaders à renforcer les options diplomatiques et politiques […] afin de sortir de l’impasse politique au Niger ». Par la voix de leur chef de file, les représentants de la Chambre haute avaient encore regretté « les malheureux événements en cours au Niger », mais sans jamais mentionner clairement une éventuelle option militaire.

De fait, Bola Tinubu n’a pas demandé leur avis aux sénateurs, mais les a simplement « informés des décisions de la Cédéao visant à rétablir l’ordre constitutionnel au Niger », explique un élu ayant participé aux débats. 

Cette réunion a surtout donné l’occasion aux sénateurs du nord du Nigeria d’exprimer leurs inquiétudes concernant les conséquences qu’une intervention de l’armée pourrait avoir dans les sept États fédérés qui bordent la frontière avec le Niger. « Les sénateurs du sud du pays sont peut-être moins informés de notre proximité avec nos voisins », indique le même interlocuteur, qui évoque « un intense lobbying » des sénateurs du nord.

L’approbation du Sénat requise

Ce signal des sénateurs est en tout cas important. Car selon la Constitution de 1999, « la déclaration d’un état de guerre entre la Fédération du Nigeria et un autre pays (…) doit être sanctionnée par une résolution des deux chambres du Parlement réunies en séance conjointe – et sans approbation du Sénat, aucun membre des forces armées (…) ne peut être déployé pour combattre en dehors du Nigeria ».

Néanmoins, il existe des complexités, puisque le chef de l’État nigérian a le droit d’engager ses forces armées dans « des combats ciblés en dehors du Nigeria (…), si la sécurité nationale est sous une menace imminente ». Mais, là encore, le Sénat doit être consulté dans les sept jours suivant les combats. Les représentants de la Chambre haute ont ensuite quatorze jours pour se prononcer sur le sujet.

L’ancien président du Nigeria avait fait sans cet aval

Pourtant, ces provisions légales n’avaient pas empêché le président Muhammadu Buhari de mobiliser 200 troupes et des avions de combat dans le cadre de l’opération de la Cédéao visant à déloger Yahya Jammeh du pouvoir en Gambie, en janvier 2017. À l’époque, le chef de l’État nigérian n’avait absolument pas consulté le Sénat a priori.

 « Les choses ont changé et le contexte n’est pas le même », veut croire le capitaine à la retraite Sadiq Garba Shehu, un expert en sécurité et défense basé à Abuja. « Notre pays est beaucoup plus proche du Niger qu’il ne l’était de la Gambie et l’épisode de 2017 a créé un précédent pour les sénateurs », développe-t-il.

Alors que les pays membres de l’organisation ouest-africaine affichent toujours leur détermination à « faire usage de la force » s’il le faut, un diplomate occidental basé à Abuja « ne voi[t] pas comment le Sénat serait en mesure de stopper Tinubu » s’il décide de mobiliser ses troupes. « Il pourrait d’ailleurs toujours chercher son approbation dans les sept jours suivant le début d’une opération militaire », estime-t-il.

De son côté, le capitaine Sadiq Garba Shehu admet que « la position de Bola Tinubu est très difficile puisqu’il doit jongler entre celle de président du Nigeria et son rôle de patron de la Cédéao ».

Le chef de l’État nigérian doit afficher sa fermeté au niveau régional, tout en étant bien conscient qu’une intervention armée le fragiliserait certainement à l’intérieur du Nigeria, déjà en proie à une grave crise économique et sécuritaire.

Un projet d’intervention armée de la Cédéao à la légalité très fragile, selon le juriste Ibrahima Kane

Une intervention militaire au Niger aurait une base légale est très fragile, contrairement à la précédente intervention en Gambie, en 2017, selon le juriste Ibrahima Kane. Il est conseiller spécial chargé des relations avec les organisations et les institutions de l’Union africaine pour Open Society Initiative for West Africa (OSIWA). « D’abord, l’intervention armée n’est pas expressément prévue par les textes. Et deuxièmement, les décisions que la Cédéao est amené à prendre sur ces questions d’interventions ont besoin d’être approuvés aussi bien par l’Union africaine que par le Conseil de sécurité des Nations unies. »

« Dans le cas gambien, il a fallu une décision des chefs d’États endossée par l’Union africaine », rappelle le juriste. Il avait aussi fallu l’approbation du Conseil de sécurité de l’ONU « dans le cadre des interventions militaires, les chapitres 7 et 8 des traités onusiens s’appliquent aussi aux États de l’Afrique de l’Ouest. C’est dans ce cadre-là que ça a été demandé et obtenu par le Sénégal à l’époque. »

RFI

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*