« Confection de tenues pour les élèves : l’équité a vraiment bon dos » (Par Mody Niang)

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C’est hors de Dakar que j’ai entendu parler de cette décision du président-politicien de consacrer trente milliards (dix par an) à la confection de tenues pour les élèves. J’attendais d’être de retour à Dakar pour vérifier l’information. C’est mon collègue Cheikh Sow, Directeur exécutif de la « Coalition des Organisations en Synergie pour la Défense de l’Éducation publique (Cosydep) » qui me permettra d’en avoir le cœur net. Je suis tombé comme par hasard sur le quotidien Les Échos du lundi 9 août 2021 qui rendait compte de la conférence virtuelle qu’il a donnée la veille. En excellent professionnel, il a campé le débat avec une remarquable pertinence. D’autres enseignants lui ont emboîté le pas, tous pour exprimer leurs sérieuses réserves, voire leur désaccord total par rapport à ce choix du président-politicien d’investir trente milliards dans la confection de tenues pour les élèves.

Cette décision surprenante et inopportune par les temps qui courent, principalement par ceux que vit notre système éducatif, fait penser au proverbe wolof selon lequel « ku sa ab ser jotul, ngay boot ay gamb »[1]. En d’autres termes, le président-politicien et son ministre de l’Éducation nationale ferment les yeux sur les priorités pressantes du secteur, pour se lancer dans cette confection de tenues pour les élèves. Ces priorités qui n’attendent pas, Cheikh Mbow et d’autres collègues les ont largement développées pour que je n’aie vraiment pas besoin de m’y appesantir. Le ministre Tall s’évertue à justifier cette décision inopportune dite de l’État, qui viserait, selon lui, à promouvoir l’équité sociale dans l’espace scolaire. Ainsi, en direction de Cheikh Mbow et d’autres collègues qui sont loin, très loin d’être convaincus, il lance : « C’est une analyse extrêmement courte quand on regarde déjà ce qui se passe déjà au niveau du Sénégal. La tenue, elle existe déjà, et au niveau pédagogique, il y a beaucoup de points positifs par rapport à la tenue. » Et notre ministre de poursuivre : « Les élèves se retrouvent entre eux, il y a cette dynamique d’équipe quand vous l’avez. » Et dans son empressement à mettre en œuvre la directive du président-politicien – et pour cause –, il ajoute : « S’il y en a qui ne sont pas d’accord, ils peuvent l’être, ça arrive. Mais cette directive du président de la République répond à un besoin d’équité sociale. » Pour lui, celui qui dit le contraire « n’est peut-être pas dans les écoles »[2].

L’équité a vraiment bon dos et c’est sûrement lui qui n’est pas dans les écoles. Que gagnent en points positifs, même habillés de tenues les plus sophistiquées, les dizaines de milliers d’élèves qui étudient dans des abris provisoires ne retenant ni la pluie, ni les rayons chauds du soleil et servant parfois de refuges à des serpents ? Que gagnent les dizaines, voire les centaines de milliers d’autres, qui étudient sous l’ombre des arbres ou se bousculent à quatre-cinq par table dans des classes qui manquent de tout ? Notre ministre a-t-il pris connaissance de l’excellent reportage de Papa Allé Niang effectué dans différentes localités de Sédhiou ? Que signifient vraiment les tenues même les plus attirantes pour les pauvres élèves qui étudient dans ces conditions-là ?

Ces tenues n’auront rien à voir avec l’équité, aucun impact positif sur la qualité de l’enseignement qui se détériore de plus en plus. Au contraire, l’équité et la qualité s’amélioreront sûrement si les trente milliards étaient investis, effectivement investis dans les priorités développées par mon collègue Cheikh Mbow et les autres. Et puis, les trente milliards ne sont prévus que pour trois ans ! Et après ? On n’améliore pas l’équité, la qualité de l’enseignement pour trois ans. Pour ce qu’on pourrait appeler la phase 4, l’État se retire et passe la patate chaude aux dits acteurs de l’école que sont : les partenaires au développement (toujours eux), les collectivités territoriales, les parents d’élèves, la société civile, les inspections d’académie, etc. Ces acteurs font déjà face à des priorités beaucoup plus pressantes que les fameuses tenues. Le président-politicien et son ministre savent parfaitement que lesdits acteurs de l’école ne mobiliseront pas dix milliards à consacrer chaque année à la confection de tenues pour les élèves. Ils ont vraiment d’autres chats à fouetter. Cela, le ministre le sait parfaitement et son empressement à mettre en œuvre la fameuse directive du président-politicien soulève de sérieuses questions.

Mon collègue Cheikh Sow pense que l’objectif de la confection de tenues scolaires vise seulement à développer un autre secteur, celui de l’artisanat. Il a raison : « Un programme de l’éducation doit d’abord prendre en compte les questions de l’éducation avant d’impacter un autre secteur. » Oui, Cheikh a raison, mais il n’a pas la même préoccupation que notre ministre. Celle qui l’habite ne serait point de développer un autre secteur. Je ne peux pas aller plus loin, même si son empressement me pose problème. Il y a un gros risque qu’au lendemain de 2023, l’essentiel des trente milliards se retrouve ailleurs que dans la confection des tenues pour les pauvres élèves. Si, en mars 2024, le président élu n’est pas sorti de la famille libérale, son attention devrait être rapidement attirée sur les milliers de milliards investis pendant les douze longues années de gouvernance meurtrie du président sortant y compris, naturellement, ceux investis d’une manière ou d’une autre dans l’assainissement  comme dans la confection des fameuses tenues[3] pour nos pauvres élèves qui ont vraiment bon dos. En tout cas moi, je le ferai, si je suis encore en vie et en bonne santé. Yalla man na ko.

Dakar, le 17 août 2021

Mody Niang, inspecteur de l’enseignement élémentaire à la retraite


[1] Des décisions de ce genre nous ont créé beaucoup de problèmes, notamment dans le secteur de l’éducation. Sont de celles-là la décision du vieux président-politicien de faire orienter tous les bacheliers et de donner la bourse ou une aide à tous les prétendants. Cette décision est pour beaucoup aujourd’hui dans les grosses difficultés que connaît l’université sénégalaise. Celle-ci n’est pas faite pour accueillir tous les bacheliers. De même, la bourse ou l’aide ne peuvent pas être attribuées à tous les prétendants.

[2] Sud quotidien du 10 août 2021, page 3.

[3] Pour ne donner que ces exemples-là, parmi de très nombreux autres.

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