En 1980, en prélude à l’élection présidentielle française qui devait se tenir en mai de l’année suivante, Coluche, un humoriste identifiable à sa salopette rayée et à son nez rouge ou rougi, déclare officiellement sa candidature à la présidence de la République, poussant ainsi à l’extrême, la désacralisation de la fonction. On pourrait dès lors se demander si cet acte ne remettait pas en cause la légitimité de ceux qui détiennent le pouvoir, car en s’alignant avec les hommes politiques il se « hausse » à leur niveau et induit l’idée qu’ils sont des bouffons. C’est ce que l’on peut comprendre quand, lors d’une interview il répond au journaliste qui lui « indiquait » que sa place était sur les planches d’un théâtre, et que sa candidature est une grosse farce, en mettant le doigt sur une certaine réalité triviale : « Je ferai remarquer aimablement aux hommes politiques qui me prennent pour un rigolo que ce n’est pas moi qui ai commencé. Finalement, si je comprends bien, tout le monde a le droit de vous faire rire sauf moi. J’arrêterai de faire de la politique lorsque Georges Marchais arrêtera de faire rire ».
Plus tard, bien que fort de plus de 16% des intentions de vote dans les sondages, il jette l’éponge. A la question de savoir s’il donnerait une consigne à tous ceux dont l’intention était de voter pour lui et au crédit de qui, il répond : « Je ne roule pas pour Mitterrand. Je ne roule ni pour Giscard, ni pour Marchais, ni pour Debré. Je ne roule avec personne parce qu’ils sont tous en panne ».
Soyons clairs. Il n’est aucunement question ici, de mettre tous les acteurs politiques dans la même charrette que celle dans laquelle les a mis Coluche. Il s’agit ici, de ceux qui se sont glissés parmi les 266 candidats à la candidature et qui se sont évaporés au soir du 26 décembre, date officielle de la fin du dépôt des parrainages. Dotés d’un sens exagéré et non fondé de leurs « talents, rêvant d’être admirés sans réserve, ils ont disparu comme par enchantement. L’Etat ne devrait-il pas prendre des mesures pour qu’à l’avenir, nous soyons épargnés de ces guignols qui nous ont pompé l’air ?
Entre la date du retrait des listes de parrainage et celle de leur dépôt, quelques-uns très tôt conscients que l’affaire n’était pas aussi aisée et que leur « célébrité » était surfaite, se sont désistés, rejoignant un ex futur rival ou ont trouvé un poste de « mandataire pour discuter avec tous les acteurs du processus électoral, dans la perspective d’une alliance pour la co-construction et la citoyenneté ». D’autres, dont le quotient intellectuel ne dépasse pas la température corporelle, ont été au bord de l’extase dès que les médias ont prononcé leurs noms. Certains, chantant comme des casseroles, convaincus être nés pour recevoir les vivats de citoyens qu’ils confondent avec leurs groupies, ont rivalisé avec quelques autres, déjà en campagne électorale, dont le cerveau, cette « obscure région des idées », n’en n’a jamais produite aucune. Si ce ne sont certains, depuis qu’ils se sont rencontrés avec eux-mêmes, ne se quittent plus, conscients de constituer un beau couple avec… eux-mêmes. Rajoutons quelques pipoteurs, des culbuteurs de femmes, braguette ouverte à toutes les dérives, et un homme de droit imprudent, vaniteux qui a emprunté une voie oblique et qui se retrouve dans une impasse. Pour le moment du moins. « Les hommes se répartissent en trois classes : les vaniteux, les orgueilleux et les autres. Je n’ai jamais rencontré les autres » avait écrit Jules Renard. Dans ce cas précis, nous non plus. Je n’oublie pas ceux qui ont cru pouvoir trouver le moyen de batailler farouchement pour se faire une honnêteté après des déboires judiciaires et tous ceux qui changent d’avis sur la justice qu’ils qualifient de « couchée » ou « debout » selon la décision les concernant. Un tropisme quoi. Or, l’annulation d’une décision est un droit. La contester ? Le droit l’autorise. Se pourvoir en cassation, c’est également les textes de Droit qui le permettent. La seule chose qu’il faut espérer est que les lumières jaillissent et fassent progresser la justice.
La floraison de candidatures toutes catégories confondues n’est-elle pas la conséquence de notre goût de l’homme providentiel, généralement choisi sur le tas ajouté au monarchisme de l’institution présidentielle, où, le chef de l’Etat détient tous les pouvoirs ? La lutte pour le pouvoir ne vise pas, jusqu’ aujourd’hui en tout cas, une transformation de la société vers un mieux-être des populations, mais convoite le contrôle de prédation pour une redistribution dans des chaines et des réseaux clientélistes, parce que l’Etat est nourricier. L’expression camerounaise de « politique du ventre », résume et renvoie à une conception de l’Etat perçu comme lieu d’accès aux richesses, aux privilèges, au pouvoir et au prestige pour soi et pour son clan. Positions de pouvoir sont les voix prioritaires, voire monopolistiques qui mènent aux ressources.
Une fois la fonction présidentielle occupée, on rentre dans l’Histoire. Le président de la République a les apparences d’un roi, quelques fois même, de droit divin, or, en même temps, il ne l’est pas. Il est de droit républicain mais sa toute-puissance présidentielle s’accompagne d’une irresponsabilité politique.
On comprend dès lors, que dans un camp comme dans l’autre, au pouvoir comme dans l’opposition, dans les partis politiques ou les coalitions, on est en face de groupes qui sont identiques. Les majorités se font au gré des négociations d’appareils et de combinaisons d’ambitions personnelles. Notre désillusion se loge peut-être dans la réorientation brutale opérée par Senghor, lors du premier référendum du Sénégal indépendant, organisé en mars 1963 après le « coup d’Etat » de décembre 1962. « Deux caïmans ne peuvent pas cohabiter dans un même marigot » avait-il donné comme prétexte. Ce référendum supprime le poste de Président du Conseil et instaure un régime présidentiel qui n’a fait que se renforcer au fil du temps et des référendums. Depuis lors, le Président de la République est à la fois au Palais pour dire le discours performatif du pouvoir d’Etat et au parti pour être politiquement audible, porté aux nues par des transhumants, ces acteurs du reniement, du revirement en même temps de ralliement, qui après avoir bénéficié de tous les privilèges d’un régime, démissionnent pour s’allier à un nouveau pouvoir dans l’espoir de bénéficier d’avantages. Le rôle du Premier ministre, s’il est rétabli, s’efface parallèlement à celui du président de la République qui se dilate et se répand. C’est un attrape-tout qui préside, gouverne, inspire, insuffle, explique et prononce sous les ors d’un palais un discours différent d’un candidat battant la campagne dans des meetings électoraux.
Le Conseil Constitutionnel fera le tri parmi les 77 candidats qui, à ce jour ont déposé leurs fiches de parrainage. Parmi ceux qu’il désignera candidats officiels, sera le prochain président de la République. La campagne électorale présidentielle, mère de toutes consultations électorales est un moment propice à la confrontation d’idées. Ce sera à nous citoyens électeurs de ne pas nous contenter de « tourner la page », parce qu’il est vain d’aborder l’avenir avec un rafiot promis au radoub. Le Sénégal a les moyens d’affronter le grand large. Il ne lui manque que la vérité d’un homme d’Etat pour nommer ses maux. Et le courage pour les affronter.
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