Aymerou Gning : «Il faut plus de vigilance dans les demandes d’affectation des terres»

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Dans cet entretien, le président du groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar, Aymérou Gningue, fait un tour d’horizon de l’actualité nationale et internationale. Parlant de la loi d’habilitation, il estime que toutes les lois de ratification sont sur la table du président de l’Assemblée nationale ; elles seront examinées dès l’ouverture de la session ordinaire. Sur le foncier, il appelle à plus de vigilance dans l’affectation des terres aux investisseurs.

Six mois après la détection du premier cas de Covid-19 au Sénégal, le virus continue de circuler dans le pays. Partagez-vous l’inquiétude qui anime nombre de nos compatriotes ?


Le virus continue de circuler dans le monde entier et, bien évidemment, le Sénégal n’est pas épargné. L’inquiétude est sans précèdent, car depuis la grippe espagnole, qui a fait plus d’un million de victimes, le monde n’a pas connu un virus aussi « démocratique », aussi vicieux et aussi invasif que la Covid-19. Cette inquiétude est d’autant plus fondée qu’il n’existe pas encore de vaccin homologué pour prévenir la maladie. Pour l’instant, seuls les gestes barrières sont capables de rompre la chaîne de transmission. C’est pourquoi ils font l’objet d’une campagne de communication très active depuis le début de la pandémie de la part du Gouvernement, des élus, des leaders d’opinion, des autorités religieuses et coutumières, des mouvements associatifs, etc.
Si vous mesurez l’impact que le respect des mesures barrières peut avoir sur notre vie sociale, la vie économique de nos Nations et nos libertés individuelles et collectives, vous pourrez alors appréhender aisément la complexité de la bataille. C’est un combat de longue durée qui va nécessiter l’engagement de tous les citoyens, notamment la jeunesse qui est plus résistante au virus, mais constitue un vecteur de transmission aux plus âgés avec un effet fatal prouvé statistiquement, surtout pour les personnes qui présentent une comorbidité.
Le Gouvernement a multiplié les efforts pour faire face et pourtant, la crise persiste. Peut-on parler d’un manque d’efficacité de la riposte ?


Dès l’apparition du virus, avant même la déclaration de la pandémie, le Président de la République a anticipé en mobilisant le Gouvernement, les personnels soignants, les sociologues et autres experts autour d’un Conseil présidentiel pour réfléchir sur les voies et moyens à mettre en œuvre très rapidement, afin de faire face à ce qui allait devenir l’une des plus graves crises sanitaires que le monde ait connue. Des moyens financiers exceptionnels, d’un montant de quatre milliards de FCfa, furent mobilisés au départ, avant même la conception et l’adoption du Plan de riposte et de résilience de 1000 milliards de FCfa contre les conséquences multiples de la Covid-19 sur notre économie, nos systèmes sanitaire, éducatif et sécuritaire, ainsi que l’organisation de notre système productif et social.
La mobilisation exceptionnelle de l’exécutif, sous le leadership fort et engagé du Président Macky Sall, le travail à grande échelle du Gouvernement, des autorités médicales et scientifiques et le dévouement des personnels de la santé et de l’hygiène publique ont donné les bons résultats que notre pays connaît et qui sont mesurables à travers les indicateurs disponibles sur les taux de guérison et de létalité bien inférieurs aux moyennes africaines et mondiales.
La réponse à cette pandémie n’est pas que sanitaire. Elle est aussi collective et communautaire avec des déclinaisons sur les champs économique, social, anthropologique et sociologique. Elle fait appel à nos fondamentaux culturels et civilisationnels. C’est pourquoi les résultats auxquels nous parvenons ne doivent pas être analysés qu’à l’aune des mesures prises par l’État, quand bien même elles sont déterminantes.
C’est de nos comportements individuels et collectifs que dépend la progression de l’épidémie. C’est l’une des raisons qui ont fait que, très tôt, précisément le 13 mars, le Président de l’Assemblée nationale avait exhorté les députés à jouer pleinement leur rôle dans le travail d’information en vue de la protection des populations.


Quel a été le rôle de l’Assemblée nationale dans cette lutte ?


Le Parlement est dans son rôle quand elle légifère pour donner au Gouvernement les moyens budgétaires qui lui permettent de décliner sa feuille de route. La loi d’habilitation fut un moment fort pour montrer à la face du monde la solidité de nos institutions. Quand le pays est en danger, les Sénégalais se parlent et trouvent des consensus dynamiques qui transcendent les petites querelles de chapelle. Nous avons donné, à l’unanimité, une partie de nos prérogatives législatives à l’exécutif dans des domaines précis et encadrés selon les dispositions de la Constitution. Au moment où je vous parle, toutes les lois de ratification sont sur la table du Président de notre institution et elles seront examinées dès l’ouverture de la session ordinaire, le 15 octobre au plus tard. D’autres initiatives sont en chantier, telles que l’audition des ministres impliqués dans la gestion du Fonds Covid-19 et la présentation en plénière du Plan de relance économique et sociale. Si vous ajoutez à cela la permanence de nos travaux qui n’ont jamais connu d’arrêt et permis à l’Assemblée de légiférer dans des domaines non couverts par l’habilitation pour adopter plus de 20 projets de loi dans un format respectant les mesures préconisées par les services de santé, vous comprendrez le rôle central de notre institution dans cette guerre contre la pandémie.

De réels soucis s’expriment sur des risques de flambée de l’épidémie avec les événements religieux d’envergure organisés au Sénégal. Quel regard portez-vous sur ces sujets ?


Il faut d’abord se féliciter du vaste élan de mobilisation des leaders de toutes obédiences qui ont tous répondu à l’appel lancé par le Président Macky Sall dès que l’épidémie s’est déclarée dans notre pays. Il n’existe, à ma connaissance, aucun pays africain où le leadership politique et social s’est livré à un exercice de mobilisation de cette envergure pour faire face à la pandémie. Depuis lors, la pression a été globalement constante du côté des dirigeants des confessions religieuses et des grandes familles maraboutiques qui jouent toutes ensemble un grand rôle d’éducation et d’encadrement des populations au sein de leurs communautés. C’est précisément cette dynamique de riposte collective qui nous a permis d’obtenir les résultats respectables dont nous venons de faire état. Il est toutefois évident que les événements religieux d’envergure dont vous faites état donnent lieu à des rassemblements de nature à favoriser les risques de contamination parmi les pèlerins avec, bien sûr, des possibilités de flambée. Nous constatons cependant une conscience partagée de la réalité de tels risques. C’est pourquoi toutes les voix s’élèvent à l’intérieur des communautés pour appeler à des efforts accrus de strict respect des mesures de sécurité sanitaire édictées par les organisateurs de ces événements, en étroite collaboration avec les services de santé et les pouvoirs publics en général.
Dans ce contexte mondial de gestion de cette crise sans précédent qui nous astreint à une obligation d’adaptation, voire de cohabitation, avec un virus aussi dangereux, c’est le moment pour nous tous de faire preuve de la plus grande rigueur dans la gestion de la pandémie tout en la combinant avec une reprise progressive de l’activité économique et sociale. C’est un défi redoutable qui nous interpelle et que nous avons la responsabilité partagée de relever dans la rigueur et la solidarité, et avec toute la sérénité requise. Notre pays connaît une longue tradition de dialogue interreligieux et de belle entente entre pouvoir temporel et pouvoir spirituel. C’est ce capital précieux à partir duquel nous avons bâti le vivre-ensemble qui fait notre fierté à travers le monde. Nous avons la responsabilité historique d’entretenir, de préserver et de consolider sans cesse ce climat.

Quelle appréciation faites-vous du Plan de relance de l’économie enclenché par le Chef de l’État ?


En 2014, le Sénégal a adopté le Plan Sénégal émergent (Pse) comme modèle de pilotage de sa politique économique. Sa mise en œuvre a donné des résultats appréciables en termes de croissance économique inclusive, de réduction du déficit budgétaire et de relance des activités productives dans les domaines agricoles, miniers, énergétiques, industriels et touristiques. Des investissements importants ont été réalisés dans le domaine des infrastructures, lesquels placent le Sénégal dans le cercle fermé des pays qui ont une base infrastructurelle minimale pour impulser un développement introverti de ses capacités de production. Le Plan de relance économique est une version du Plan d’actions prioritaires II (Pap II) qui s’inspire du diagnostic sans complaisance de la mise en œuvre du Pap I et s’adapte au contexte de la pandémie de la Covid-19. C’est un excellent plan qui traduit une vision, celle du Président de la République, d’un Sénégal émergent en 2035 avec une société solidaire dans un État de droit. Les accès universels, par exemple, constituent un pan important de la relance, et j’apprécie fort positivement les mesures de défiscalisation déjà prises dans la chaîne de production de l’énergie solaire. De même, l’emploi des jeunes et le Pse vert y occupent des places importantes qui restaurent l’espoir dans cette catégorie de notre population dont les attentes légitimes sont prises en compte dans la vision du Chef de l’État.


Comment l’Assemblée nationale compte-t-elle accompagner ce plan ?


Par ce que nous savons faire le mieux : jouer notre partition dans la mise en place d’un dispositif législatif attractif pour attirer l’investissement privé qui doit être le moteur de la croissance du Pap II ; veiller, à partir de la loi sur le contenu local, à ce que le privé national trouve sa place dans la mobilisation des ressources destinées aux investissements de croissance et dans l’exécution des projets (des mesures encourageantes se mettent en place dans l’exploitation de nos ressources pétrolières) ; procéder à l’allocation des ressources budgétaires dans des schémas qui rencontrent la vision du Président de la République ; exercer notre mission de contrôle et d’évaluation des politiques publiques comme définie dans la Constitution ; évaluer tout programme voté dans la loi de finances par l’audition des responsables chargés de leur mise en œuvre durant l’exercice budgétaire…


Des litiges fonciers sont enregistrés dans plusieurs localités du pays. N’est-ce pas une situation préoccupante ?


C’est, en effet, une situation très sérieuse qui mérite des réflexions de fond. Il nous faut concilier les besoins d’investissements qui sont importants dans l’agriculture industrielle, seule à même d’utiliser les espaces de productivité disponibles ou sous-exploités avec les schémas classiques de notre organisation agricole familiale et hivernale. Autant nous devons protéger les fermes agricoles familiales, autant il nous faut favoriser les investissements dans le secteur agricole qui sont capables booster la croissance et d’asseoir une base industrielle de transformation, laquelle améliore la chaîne de valeur.
Ceci dit, je crois qu’il faut que nous soyons plus vigilants dans le traitement des demandes d’affectation des terres du terroir au profit des investisseurs nationaux et étrangers. Si l’investisseur a besoin, à juste raison, de sécuriser ses investissements par un accès à la propriété, il me semble que l’attribution d’un bail, qui est un titre de propriété, devrait suffire et nous éviter d’aller à la titrisation quasi systématique. L’application stricte du Code général des collectivités territoriales, en son article 248 qui astreint le Gouvernement à soumettre à l’Assemblée nationale, en début de chaque session ordinaire, un rapport sur le contrôle de légalité à l’égard des actes des collectivités territoriales, devrait aussi aider à prévenir les conflits.
Par ailleurs, une réflexion est en cours chez nos collègues sur une proposition de loi qui encadrerait mieux la gestion du foncier du domaine public maritime et des terres du terroir.


L’actualité, c’est aussi la grave crise qui sévit au Mali ayant débouché, mardi dernier, sur le coup d’État qui a renversé le Président Ibrahim Boubacar Keïta…


Toute rupture du cours institutionnel normal dans un pays démocratique est un échec pour l’Afrique dans son ensemble. Il est utile de rappeler que c’est dans le cadre de la Fédération du Mali que nos deux pays ont accédé à l’indépendance en 1960 ; ce qui justifie la relation particulière entre nos deux États, une singularité prise en charge par le Président Macky Sall via son implication quotidienne, sur les plans bilatéral et multilatéral, dans toutes les tentatives de règlement pacifique de cette crise. Le Sénégal a, dans ce sens, fourni les effectifs parmi les plus importants dans les forces onusiennes de maintien de la paix au Mali.
Notre pays est et continuera d’être fidèle à sa position de principe de respect de la légalité constitutionnelle au Mali, comme partout ailleurs dans le monde. Position qui, au demeurant, se confond avec celle de la Cedeao, de l’Union africaine et de toutes les institutions internationales. Nous continuerons d’inviter les dirigeants maliens de toutes obédiences à recourir aux vertus d’un dialogue politique sans exclusive afin de faire revenir le pays à la légalité constitutionnelle et épargner le peuple malien des épreuves sans issue de coups d’État qu’il connaît depuis 1969.

La tension monte aussi en Côte d’Ivoire et en Guinée à l’approche de l’élection présidentielle dans ces pays…


Moi, je crois à la « jurisprudence » Macky Sall. Lorsqu’en 2012, il s’est posé le débat sur le 3ème mandat du Président Wade, le candidat Macky Sall avait déclaré haut et fort qu’il respecterait, en toute circonstance, la décision du Conseil constitutionnel, juridiction seule habilitée, dans notre pays, à valider ou invalider une candidature. Lorsque la Cour s’est prononcée, il est allé sereinement en campagne électorale, vendre son projet de société aux Sénégalais des villes, des campagnes et de la diaspora. On connaît la suite ; les électeurs se sont exprimés et l’ont élu à près de 70 %. L’Afrique qui se construit dans la démocratie est celle qui fait confiance aux institutions de la République et au citoyen-électeur.

Il est fait état de la reprise du Dialogue national dont les travaux avaient été suspendus en raison de la Covid-19. Quelles sont vos attentes ?


Tout ce qui se passe autour de nous et à travers le monde me conforte dans ma conviction que le Président Macky Sall a été particulièrement inspiré et clairvoyant pour initier cet important exercice de maturité démocratique en appelant à un Dialogue national inclusif, malgré sa victoire éclatante lors du scrutin présidentiel de février 2019. L’ampleur et la complexité des défis sanitaires et sécuritaires auxquels nos pays font face commandent, de nos jours, des approches concertées et inclusives dans la gouvernance de nos sociétés exposées à des agressions et des chocs. Ce qui fait appel à de grandes capacités de résilience et de riposte ainsi qu’à la construction de consensus les plus larges possibles pour réaliser les réformes majeures venues à maturité. Les conditions qui garantissent l’optimum de résultats dans la conduite de ces réformes pour le pays et les citoyens sont la sécurité et la stabilité.
C’est dans cette optique qu’il faut situer l’enjeu du Dialogue national en cours dans notre pays et espérer qu’il débouche rapidement sur des consensus majeurs qui renforcent davantage les moyens du Président de la République de poursuivre et d’intensifier les réformes économiques et sociales qui conduisent à nos ambitions d’émergence. J’insiste toutefois pour qu’on garde à l’esprit que nous appartenons à une entité communautaire sous-régionale où tout ce qui se passe nous interpelle directement. Je sais l’attention et l’énergie que le Président y consacre. Notre pays reste parmi les principaux pôles de stabilité dans notre continent ; ce qui nous confère des responsabilités particulières dont nous devons prendre conscience et que, de notre part, comptons pleinement assumer aux côtés du Chef de l’État dans tous les secteurs où nous sommes dépositaires de sa confiance, au niveau des institutions de la République comme sur le terrain de l’engagement militant dans nos terroirs.


Propos recueillis par
Aly DIOUF, Babacar DIONE (Textes) et Moussa SOW (Photos)

Source : Le Soleil

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