Avortement, pédocriminalité, violences… : Mgr Benjamin Ndiaye parle…

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En cette matinée du samedi 11 décembre 2021, le calme règne dans le paisible quartier dakarois de Fann Résidence. Entre la Corniche ouest et l’Université Cheikh Anta Diop, se trouve la résidence de l’Archevêque de Dakar. C’est dans cette vaste et belle demeure que Monseigneur Benjamin Ndiaye, serein dans le raisonnement et raffiné dans la démarche, a accueilli l’équipe du journal « Le Soleil » pour un entretien, à la veille de la célébration de Noël. À cœur ouvert, le religieux aborde toutes les questions avec la sagesse des hommes de Dieu : la vie des paroisses dans ce contexte de Covid-19, les projets de l’Église, la question de l’avortement médicalisé, les heurts en cette veille d’élections…    

Comment va l’Archevêque de Dakar ? 

L’Archevêque de Dakar va bien. Il rend grâce à Dieu pour la santé recouvrée. J’en profite d’ailleurs pour dire merci à tous ceux qui m’ont manifesté leur solidarité, leur sympathie par la prière, par les attentions. Je dois un grand merci au corps médical. J’en ai apprécié le dévouement mais aussi la compétence, la qualification. Je remercie tous ceux qui m’ont aidé à prendre mes soins. Je rends grâce à Dieu de pouvoir reprendre le travail normalement.

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Après deux ans de crise sanitaire, quelle est, aujourd’hui, la situation dans les différentes paroisses de l’archidiocèse de Dakar ?

On n’est pas encore tout à fait sorti de la crise sanitaire d’ailleurs, avec les variants qui arrivent et repartent. Mais je pense que nos paroisses, de manière générale, on pourrait le dire pour le Sénégal, ont bien géré la crise, aidées en cela par leurs évêques. Il y a une expertise qui s’est créée au fur et à mesure pour mieux maîtriser les réactions à avoir par rapport à la pandémie. Je dois saluer la discipline que les fidèles ont montrée à cette occasion pour nous permettre de nous abstenir des grands rassemblements. Il a fallu, pendant un certain temps, s’abstenir du culte du dimanche. Plus progressivement, on a pu faire des modules qui ont permis aux fidèles de pouvoir alimenter leur vie spirituelle jusqu’à la reprise du culte le 1er novembre 2020. C’est vraiment une résurrection de pouvoir reprendre le culte. Nous espérons, malgré les variants qui s’annoncent, que la crise ne retrouve pas sa gravité d’autrefois pour que nous puissions vaquer à nos occupations. Nous prions pour cela parce que le peuple est éprouvé par les conséquences de cette maladie ; et le plus vite qu’on en sortira, le mieux sera pour nous tous.

Ces deux dernières années, l’Église sénégalaise a annulé tous ses grands évènements, notamment les pèlerinages, les Journées mondiales de la jeunesse (Jmj)… Est-ce qu’on peut espérer que le prochain pèlerinage de Popenguine, par exemple, se tienne ?

Je prie Dieu que nous puissions retrouver ces grands rassemblements. L’envie de se retrouver est très forte dans les différentes communautés. Nous avons célébré des Jmj dans un module paroissial à l’archidiocèse de Dakar. Les autres diocèses ont pu le faire au niveau diocésain. Mais, étant donné l’importance des effectifs, à Dakar, nous avons plutôt préféré la solution paroissiale qui s’est avérée aussi très intéressante. Comme on dit : « à quelque chose malheur est bon », c’est une belle expérience qui a été vécue et qui ne supprime pas notre volonté de grands rassemblements. Nous espérons, au mois de janvier prochain, pouvoir célébrer le pèlerinage des enfants, le pèlerinage des familles et le grand pèlerinage de Popenguine au début du mois de juin. Dieu fasse que nous puissions le faire pour nous retrouver dans la prière et la joie.

Dans l’archidiocèse de Dakar et même ailleurs, il y a beaucoup de projets de construction d’églises. Par exemple, le grand projet diocésain du sanctuaire de Saint-Paul de Grand Yoff ? Est-ce que vous disposez d’assez de moyens pour réaliser toutes ces infrastructures ?

Il y a énormément de projets avec peu de moyens. Le projet de Saint-Paul de Grand Yoff traîne en longueur. On a vu, peut-être, trop grand et cela ne correspond pas aux réalités économiques de notre communauté. Bien que nous ayons beaucoup de membres, le besoin d’avoir un sanctuaire diocésain cohabite aussi avec celui d’avoir des lieux de culte pour les communautés. C’est au moins une dizaine d’églises qu’il faudrait construire de manière urgente pour répondre aux besoins de la communauté chrétienne. Que ce soit à Tivaouane Peulh, à la Cité Gendarmerie de « Jaxaay », à Mbour et dans le secteur du Sine. Partout, il faut construire des églises et des presbytères et, malheureusement, nous n’avons pas assez de moyens pour le faire. J’ai trouvé dans les archives de l’archidiocèse un projet de curie diocésaine. La curie diocésaine, c’est le cœur administratif du diocèse mais, jusqu’à présent, nous ne sommes pas équipés pour le réaliser. Le terrain existe mais nous n’avons pas les moyens. Des offres ont été faites mais elles dépassent largement nos possibilités. Donc il y a cette difficulté à coordonner la multiplicité des besoins et la réalité de nos possibilités.

Avez-vous sollicité l’État pour la réalisation de ces grands projets ?

L’État s’est engagé pour Saint-Paul de Grand Yoff à hauteur de 250 millions de FCfa comme il le fait pour les sanctuaires des autres diocèses. Cela représente le 1/5ème ou même le 1/10ème de ce dont nous avons besoin mais nous saluons cette aide. L’État intervient aussi dans la réhabilitation des autres infrastructures de l’Église. Il a contribué à la restauration de la basilique de Popenguine et cela demandait beaucoup de moyens financiers. Les fidèles se sont engagés de manière très concertée et généreuse mais l’État a aussi apporté sa part à travers le Bureau d’architecture de la Présidence de la République. Il s’y ajoute que l’État s’était engagé à restaurer et à agrandir le sanctuaire marial de Popenguine. Quand je suis arrivé, en évaluant la situation après concertation, il s’est avéré qu’il est mieux pour l’avenir de délocaliser le sanctuaire sur la corniche pour avoir plus d’espace, plus d’aération. L’État nous suit dans ce projet mais avec beaucoup de difficultés. À un moment, le chantier était même à l’arrêt. L’entreprise, ne voyant pas les moyens, avait plié bagages et était parti. Les travaux sont repartis mais avec un peu de timidité. Disons que l’État est aussi à la même enseigne que nous. Cela veut dire que la pénurie de moyens touche toutes les entités. Nous souhaiterions, évidement, que l’État puisse en faire davantage pour nous.

Où en sont les travaux de réhabilitation de la basilique de Popenguine ?

Les travaux sont en cours de finition. Il était même prévu de réceptionner le bâtiment la semaine prochaine (l’entretien a eu lieu le 11 décembre 2021). Mais, il faut encore patienter. Les derniers travaux de retouche se font mais les gros œuvres sont terminés. Nous avons fait une découverte fantastique avec la restauration de la basilique. Il y a une œuvre d’art qui était là et qui avait été cachée par un panneau en bois qu’on avait préféré mettre en place pour faire une autre décoration. Cette œuvre d’art est du même artiste que ce que l’on trouve dans l’Église des Martyrs de l’Ouganda et au Petit séminaire de Ngasobil. Ne serait-ce que pour cette raison, cela vaut la peine de restaurer cette basilique. L’œuvre a connu quelques injures avec le temps mais il y a un artiste qui est chargé de le reprendre et de le restaurer. Cela va prendre un peu de temps. J’espère qu’en février prochain, nous pourrons réceptionner la basilique et autoriser le culte comme il se doit.

On a constaté, ces derniers temps, des répartitions dans le doyenné de l’archidiocèse de Dakar. Est-ce à dire qu’il y a des signes annonciateurs de la création d’un nouveau diocèse parce qu’on estime que celui de Dakar est très grand ? 

Il y a déjà trois ou quatre ans, en réunion de prêtres, nous avions réfléchi à plusieurs reprises sur ce que devrait être la configuration de l’archidiocèse de Dakar et même de la province ecclésiastique de Dakar qui comprend les différents diocèses. Avec la concentration humaine qu’il y a dans la capitale, il faut un évêque qui va s’occuper de la zone de Dakar, laissant un autre le soin de s’occuper de ce qu’on appelle le doyenné du Sine et de la Petite-Côte. Il s’est avéré que le nombre de chrétiens ne cesse de grandir. C’est dans la zone que nous appelons les Niayes et la banlieue au fond de Dakar que nous avons la plus grosse concentration de chrétiens. Aujourd’hui, il est devenu nécessaire de subdiviser le doyenné des Niayes qui comprenait 15 paroisses. Une seule paroisse dans les Niayes a plus de chrétiens que dans tout le diocèse de Kaolack. Nous avons donc décidé de redistribuer les doyennés. Celui des Niayes, qui ne faisait qu’un seul avec 15 paroisses, se retrouve avec trois doyennés. Il s’agira des doyennés de Pikine, de Keur Massar et celui de Rufisque. Chaque doyenné comportera cinq paroisses. Nous avons pensé qu’il était nécessaire de faire la même opération dans les doyennés du Sine et de la Petite-Côte. Nous avons donc créé, d’une part, le doyenné de Thiadiaye avec cinq ou six paroisses et le doyenné de Fatick avec sept ou huit paroisses. Nous avons encore subdivisé le doyenné de la Petite-Côte en deux : le doyenné de Popenguine et celui de Ngasobil. De cette manière, on se rend compte que nous pouvons travailler mieux administrativement. Est-ce que c’est l’imminence de la création d’un diocèse ? Cela revient à l’autorité romaine à laquelle nous avons soumis cette question de répondre. Est-ce qu’il n’est pas temps de penser à la reconfiguration de l’archidiocèse de Dakar par la création d’un nouveau diocèse qui pourrait polariser l’ancien doyenné du Sine et celui de la Petite-Côte ? Nous attendons toujours la réponse de Rome. Vous savez que l’Église est très prudente mais, moi, je l’espère du fond du cœur.

Beaucoup de catholiques ne comprennent pas la nomination de l’Évêque de Ziguinchor au diocèse de Tambacounda.  Quelle en est la raison ?

Ce n’est pas la première fois. Moi-même, j’ai été transféré de Kaolack à Dakar. Le Cardinal Théodore Adrien Sarr l’a été avant moi. Le diocèse d’origine ne compte pas quand on est au service de l’Église. Nous allons en mission quand on nous appelle. Cela faisait plus de quatre ans que nous attendions la nomination d’un Évêque à Tambacounda. Le clergé de Tambacounda est assez restreint. Comme Rome, dans ses procédures, fait mener une enquête pour d’éventuelles candidatures à l’épiscopat, il y a des listes qui sont données. Et le Nonce, après avoir fait une enquête concernant les candidats potentiels, envoie les dossiers à Rome qui va discerner, se renseigner, jusqu’au jour où, après études, des propositions sont faites et soumises au Pape. C’est ce dernier qui, en définitive, décide de qui va être Évêque ici ou là. Je comprends la frustration des fidèles de Ziguinchor. J’espère surtout qu’on n’attendra pas quatre ans afin de trouver un Évêque pour Ziguinchor. S’il faut attendre encore longtemps, cela immobilise les communautés.

Où en est-on avec la célébration du centenaire de la naissance du Cardinal Hyacinthe Thiandoum ?

La pandémie de Covid-19 nous a empêchés de faire ce que nous avions vraiment prévu pour le Cardinal Hyacinthe Thiandoum. Nous espérons pouvoir organiser un grand événement pour retracer son parcours chrétien, épiscopal et ses différentes fonctions dans l’Église. Nous pensions aussi pouvoir organiser un colloque. Il ne sera jamais trop tard pour faire un colloque sur le Cardinal Thiandoum pour tout ce que nous lui devons en matière d’organisation pastorale, de dialogue islamo-chrétien et d’engagement dans l’Église locale, africaine et même universelle. Le 18 mai 2021, lors de l’anniversaire de son décès, nous avons célébré une messe à la Cathédrale de Dakar en sa mémoire. Si le temps nous est favorable, nous pourrons organiser ce colloque pour visiter l’œuvre du Cardinal Hyacinthe Thiandoum. Je me rends compte que les jeunes générations ne connaissent pas le Cardinal Hyacinthe Thiandoum. Il est quand même important qu’ils connaissent ce monument de l’Église catholique.

Le Pape François a convoqué l’Église à un nouveau synode sur la synodalité avec une phase diocésaine jusqu’en mars 2022. Comment se déroule cette phase dans l’archidiocèse de Dakar et au sein de la Conférence épiscopale ? 

C’est peut-être bon d’expliquer, d’abord, ce qu’est un synode. Un synode vient du mot grec synodos. « Syn », c’est ensemble et « odos », c’est la route. Le synode, ce sont des gens qui décident d’aller ensemble. Cela veut dire qu’ils ont une direction, un but et un sens à leur démarche. La démarche synodale appartient à l’Église qui est une communauté en marche. Nous marchons ensemble. La pratique synodale est ancienne à l’Église. Le Pape Paul VI a voulu formaliser cela pour donner suite au Concile Vatican II. Il a accepté le principe d’un synode régulier qui vient pour essayer d’apprécier tel ou tel domaine de la vie de l’Église à la lumière du Concile Vatican II. Au Sénégal, nous avons eu dans l’Église de Dakar le premier synode en 1893 avec Mgr Magloire-Désiré Barthet. Ensuite, nous avons eu un deuxième synode avec Mgr Augustin Grimo en 1940. De 1990 à 1993, nous avons eu le troisième synode diocésain avec le Cardinal Hyacinthe Thiandoum. C’est pour vous dire que nous sommes outillés. Nous avons une expérience dans le synode. Il s’agit de rassembler le peuple de Dieu et de l’inviter à évaluer son vécu chrétien et son témoignage dans le contexte où il vit. Aujourd’hui, le Pape nous demande de réfléchir sur l’expérience synodale en elle-même. Nous faisons un synode sur la synodalité. Est-ce que nous marchons ensemble ? Est-ce que nous sommes unis ? Est-ce que nous sommes capables d’aller plus loin ? Quels sont les défis auxquels nous devons répondre pour une marche commune ? Je reste persuadé que tant qu’une Église ne s’ouvre pas aux autres, elle risque de mourir d’elle-même. La synodalité, c’est la marche commune, la démarche et l’ouverture. Je pense à des textes bibliques qui sont très beaux et qui nous indiquent le chemin à suivre. Quand Jésus rattrape deux disciples sur la route d’Emmaüs, il leur pose des questions. Il chemine avec eux, nous invitant ainsi à comprendre que c’est Dieu qui chemine avec nous et qui nous indique le chemin. Ensuite, le cheminement suppose qu’on soit solidaire les uns les autres. Que ceux qui ont plus aident ceux qui ont moins. Aujourd’hui, la synodalité nous invite à dire comment nous intégrons l’œuvre de la création dans notre démarche. C’est cette démarche qu’il est important de rappeler. Le Pape, avec ses collaborateurs, nous a proposé un questionnaire qui doit être travaillé dans chaque diocèse. Cette démarche, dans notre diocèse de Dakar, est confiée à l’abbé Georges Kory Diouf, vicaire épiscopal chargé de la formation. Il est en train d’actionner les différents démembrements de notre communauté diocésaine pour avoir des réponses aux questions. Les réponses seront synthétisées, rassemblées par le diocèse. Nous devons en faire une synthèse commune en disant voici comment nous voyons la démarche synodale aujourd’hui. Cette synthèse du Sénégal sera envoyée à Rome pour le synode qui est censé se tenir en 2023. Avant ce synode, Rome va utiliser toutes les synthèses qui lui sont parvenues pour produire un instrument de travail. Celui-ci aura un aspect doctrinal mais aussi un aspect pratique qui va permettre de faire le synode en 2023.

Le Sénégal s’achemine vers des élections municipales et départementales avec des scènes de violences notées un peu partout. Quel est l’appel que vous lancez en tant qu’autorité religieuse ?

 Il y a un peu plus d’un mois, j’ai reçu le bureau de l’Association des imams et oulémas du Sénégal. Le but de leur démarche était de m’inviter à voir si nous ne pourrions pas, de manière conjointe, faire une déclaration par rapport aux prochaines échéances électorales. Nous nous sommes entendus là-dessus mais je leur ai dit que je vais consulter mes confrères évêques. Ce n’est pas la première fois que nous collaborons dans de telles circonstances. Les échéances électorales doivent faire partie du déroulement normal de la vie citoyenne. Ce sont des consultations qui permettent au peuple, détenteur du pouvoir, de le déléguer à ceux qu’il choisit librement. Il ne faut donc pas qu’il y ait entrave à ce processus d’un libre exercice du peuple à dire qui il veut pour le diriger. Cela doit se passer aussi dans la civilité. Il n’est pas nécessaire d’insulter, d’élever la voix, de croire qu’on a raison parce qu’on parle mieux que les autres. C’est au peuple de voir, par rapport aux candidats qui sont là, celui qu’il préfère pour tenir telle fonction. C’est la loi de la démocratie. Il est important de dépassionner le débat, d’une part. D’autre part, il est essentiel que tout se passe dans la lumière et la vérité. Qu’il n’y ait pas de tricherie, de vol, de tromperie. Il ne faut pas attiser la violence. Il ne faut pas non plus la provoquer parce qu’on procède mal. Si les règles sont respectées, la civilité et l’urbanité exigent que chacun déploie un comportement qui épouse la correction, la manière d’être et d’agir, faire preuve d’une bonne éducation dans la manière de parler, d’écouter les gens. On n’a pas besoin de crier ni d’insulter, d’aller guerroyer contre les gens. Ils ne sont pas des ennemis mais des concitoyens. J’insiste beaucoup là-dessus. Franchement, s’il y a un appel à lancer, c’est de demander aux gens de revenir à la sagesse, celle que nous tenons de nos ancêtres.

Il y a un débat au sein de notre société et qui porte sur l’avortement médicalisé. Quelle lecture en faîtes-vous ?

Cette question est fort intéressante. Je dois dire que j’ai rencontré, il n’y a pas longtemps, la conférence des supérieurs majeurs religieux de l’Église et une religieuse qui s’active dans le domaine de la santé m’a posé la même question. Cette question m’a aussi été posée à Radio Vatican par le passé. Il y a une doctrine de l’Église qui ne varie pas au cours des siècles : c’est qu’on ne peut pas attenter à la vie humaine et qu’on ne peut pas toucher au processus même de la transmission de la vie humaine. C’est l’enseignement doctrinal. L’Église n’est pas favorable à l’avortement parce que, pour nous, c’est un arrêt du processus de transmission de la vie humaine. Par respect pour la vie humaine que nous recevons de Dieu, nous n’avalisons pas l’avortement ; surtout avec l’avènement de la naissance de Jésus-Christ, je pense que c’est l’occasion de faire la promotion de la vie humaine…

J’ai envie même de dire que par rapport à la fête de Noël, ce qui arrive à la naissance de Jésus-Christ est assez extraordinaire parce que Joseph est fiancé à Marie et avant qu’ils n’habitent ensemble, cette dernière est tombée enceinte. Mais Joseph ne sait pas ce qui se passe et quand il découvre la réalité de la grossesse de Marie, il décide, en secret, de la répudier. C’est là qu’il reçoit la révélation : « Ne crains pas de prendre chez toi Marie comme épouse car ce qui est en elle vient de l’Esprit Saint ». C’est-à-dire qu’au fond, Joseph a été confronté à la réalité d’accueillir la vie. Il l’accueille d’autant plus que là, c’est encore une mission spéciale, une mission de rédemption pour l’humanité. C’est l’occasion pour moi de souhaiter une belle fête de Noël, un joyeux Noël à tout le monde. Jésus est venu pour tous les hommes. Une occasion de prier pour les mamans (celles qui accouchent, celles qui attendent un enfant et pour celles qui aimeraient avoir un enfant et qui ne l’ont pas. Une occasion aussi de prier pour tous les enfants. L’enfant est au cœur de la vie humaine. C’est pourquoi Jésus-Christ dit, au chapitre 18 de l’Évangile selon Saint-Mathieu, de ne pas scandaliser le plus petit des enfants. Noël doit nous rappeler les drames sociaux que nous vivons et contre lesquels nous devons lutter. Alors, ce que je souhaite à Noël est que nous soyons au service de la vie.

Monseigneur, parlons justement de ce rapport accablant sur la pédocriminalité au sein de l’Église en France avec au moins 216.000 victimes de prêtres, de religieux. Quel sentiment éprouvez-vous face à cette actualité ?

Une grande souffrance d’apprendre cela et de se rendre compte que derrière l’autorité religieuse, il peut se cacher des déviations monstrueuses. Mais il faut oser le reconnaître et oser le confesser. La Conférence des évêques de France a eu une démarche très belle quand le président de la Conférence a écrit un texte pour demander pardon à Dieu et aux victimes. Demander pardon à la communauté parce que quand on pèche, on scandalise aussi les autres. Derrière cette souffrance que nous portons, des déviations existent aussi chez nous et nous ne nous contentons pas seulement de parler des autres. Que cela soit l’occasion de faire une introspection, de nous remettre en cause et de nous engager dans un chemin de conversion si cela est nécessaire. L’Église de France a engagé une profonde introspection en la matière et la commission, qui a eu à travailler là-dessus, a amené des conclusions effrayantes. Mais ne nous effrayons pas de ce qui se passe chez les autres. Regardons ce qui se passe chez nous, que cela soit dans l’Église ou dans notre société, les petits sont des victimes. Or Jésus-Christ est venu pour que les petits soient au centre de nos projets de vie.

Ces derniers temps, il y a eu beaucoup de scandales avec le trafic de passeports diplomatiques, le blanchiment de capitaux, le détournement de deniers publics…, alors que la pauvreté accable une bonne partie de la population. Quel sentiment éprouvez-vous face à ces scandales ?

Mon sentiment est qu’aujourd’hui le Sénégalais doit faire face à une tentation, celle du matérialisme. Nous sommes en train de courir de manière éhontée derrière le bien matériel. Si on met en avant le bien matériel, on est prêt à tuer, à écraser l’autre pour obtenir ce que l’on veut. J’ai reçu, ces temps-ci, les représentants des albinos du Sénégal. Ils étaient accompagnés de Seydi Gassama d’Amnesty International. Je n’avais jamais été aussi sensible à la question des albinos que ce jour-là quand ils m’ont présenté leur association, leur but, les défis auxquels ils doivent répondre au niveau sanitaire, de la prise en charge et surtout, plus grave, au niveau de toutes les représentations mentales que nous avons vis-à-vis d’eux. Comment peut-on oser se mettre dans la tête que pour réussir politiquement ou financièrement, il faut que l’on sacrifie un albinos ? Vous vous imaginez ? Devant des scandales comme ceux-là, on ne peut pas se taire. Comment faire pour protéger les plus faibles, ceux qui risquent d’être écrasés par les autres ? C’est cela le grand défi.

Vous avez aussi participé au colloque célébrant les 25 ans de la lettre pastorale des Évêques : « Bâtir ensemble un Sénégal de justice et d’équité ». Vous pouvez revenir sur les conclusions de cet évènement qui a eu lieu à Thiès ? 

On s’est rendu compte que ce que nos prédécesseurs ont fait, il y a 25 ans, en termes de déclaration, « comment promouvoir un Sénégal de justice et de paix ? », est d’une grande actualité. Nous avons voulu donc revisiter l’actualité de cette lettre pastorale. Un colloque a été organisé dans ce sens. Il est heureux qu’on ait pu reprendre une lettre pastorale parce que notre tendance est de croire que l’on invente des choses. Mais on se rend compte que les anciens avaient tout dit. C’est important aussi de connaître l’histoire pour s’appuyer là-dessus et voir comment on peut avancer. Je pense, aujourd’hui, que le principe de promouvoir un Sénégal de justice et de paix reste toujours d’actualité.

Ces dernières années, on note une certaine prolifération de l’Église universelle du royaume de Dieu. Que vous inspire ce fait ?

Il y a une prolifération d’églises et même de sectes. Cela veut dire que la dimension religieuse importe pour les fidèles. Mais là où les fidèles voudraient des lumières de la doctrine et des règles de vie, peuvent s’incruster des comportements aussi déviants à la recherche de l’argent ou simplement par concurrence. Je pense que le plus important est le discernement. On ne change pas de religion comme on change de chemise parce que c’est un choix fondamental qui nous renvoie à la relation que nous avons avec Dieu. Dieu ne change pas. Dieu est le même hier, aujourd’hui et demain alors que notre manière de le suivre peut évoluer dans le temps. Mais cela doit rester dans la fidélité de ce que nous avons reçu. En tout cas, pour ce qui concerne la communauté chrétienne, j’ai envie de lui dire : « Ne vous laissez pas abuser par le premier prédicateur venu » ; « Ne vous laissez pas abuser » ; « Donnez-vous les moyens de vous former » ; « Donnez-vous les moyens de pratiquer votre foi parce que la foi se renforce quand on la pratique ». Si on ne pratique pas sa foi, elle va mourir. C’est pourquoi on dit que la manière de célébrer renforce la manière de croire. La pratique renforce la foi. Alors, aujourd’hui, pour des questions matérialistes, il y a beaucoup de charlatanisme. Évitons de nous prendre tous pour des prophètes. L’Évangile est là et il n’y a pas autre chose pour nous. Vous ne pouvez pas avoir la révélation. Le prologue de Saint Jean dit : « La loi fut donnée par Moïse. Mais la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ. La révélation a atteint un tel sommet que l’on ne peut revenir en arrière. Mais on veut instrumentaliser la religion à des fins mercantiles, à des fins personnelles, à des fins de pouvoir. Quand les disciples se disputent pour savoir qui est le plus grand, qu’est-ce que Jésus fait ? Il prend un enfant et le met au milieu d’eux et leur dit si vous ne changez pas pour devenir comme cet enfant, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux. Et Saint-Paul a dit : « Il viendra dans les derniers temps des gens qui vont se lever de partout, qui vont nous dire « je suis le Messie » ». Le moment venu, Dieu viendra. Ce qu’on nous demande est la fidélité pour aujourd’hui là où nous sommes.

Le Soleil

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