Arrêtons de jouer avec le feu de l’ethnicisme et du régionalisme (Par Alassane K. Kitane)

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Quand le Commissaire Sadibou Ndiaye a été retrouvé mort dans les falaises de Ouakam en 1987, personne n’a fait mention de son ethnie ou de son terroir. Cet ex-directeur de la sécurité publique est mort dans des conditions jusqu’ici nébuleuses. Mais il était avant tout un officier sénégalais, sénégalais tout court. La république a ses meurtres, ses cafards : il faut les combattre loyalement sans jamais tomber dans le piège éthniciste, car il mène à l’aporie. Ces guerriers qui sont morts à Medina Mancagne et dans le Nyassia, étaient des sénégalais avant d’être du nord ou du sud. Quand le 25 juillet 1995, 23 militaires sénégalais ont été tués entre Toubacouta et Babonda, c’était des sénégalais, il y avait toutes les ethnies dans ce massacre. Les soldats morts à Diégoune en 2011 étaient tous des Sénégalais.

Quand, en juillet 2013, l’affaire de la drogue qui a éclaboussé l’Office central de répression du trafic international des stupéfiants a éclaté, personne n’a parlé de l’origine ethnique des différents protagonistes. Abdoulaye Niang, Codé Mbengue et Cheikhna Keïta sont des sénégalais, c’est tout. Il faut arrêter d’instrumentaliser les ethnies, c’est de la faiblesse, de la lâcheté, de l’antipatriotisme tout court.

Quand, le 24 janvier 2022, deux militaires sénégalais ont été tués en Gambie, neuf autres portés disparus, personne n’a cherché à parler de leur ethnie. Quand, en février 2021, sept militaires sénégalais tués, victimes une embuscade au nord de Sindian, personne n’a parlé de leur région parce que ce sont des sénégalais tout court. Quand, en 1987, le Commissaire divisionnaire de classe exceptionnelle, Samba Sy a été accusé de falsifier un décret présidentiel, qui a parlé de son ethnie ?

La mort ou disparition de deux gendarmes dans ce contexte de suspicion générale pour cause d’affaires politico-judiciaires est évidement suspecte, révoltante et extrêmement grave, mais si nous voulons que toute la lumière soit
faite, il faut taire ces considérations ethniques qui ne mènent qu’à l’impasse ou à la scission. Des affaires louches dans les armées on en trouve toujours et partout, mais il faut faire confiance aux institutions et au bon sens du peuple au lieu de chercher à instrumentaliser la fibre ethnique.

Macky Sall est particulièrement interpellé, car notre nation est en train de tanguer et il n’a pas le droit de laisser prospérer de telles suspicions. Si nous ne sommes pas capables d’avoir un consensus national sur cette question, c’est que nous prouvons que n’avons pas fait mieux que les colons. L’enjeu, c’est de se battre pour que l’autopsie se fasse sur le corps retrouvé et que toute la lumière soit faite sur cette sombre affaire. La société civile et les organisations internationales doivent se mobiliser ou être mobilisées pour que cette affaire ne soit pas couronnée de nébulosité.

Il faut faire attention avec la notion d’ethnie qui, contrairement à ce qu’on a l’habitude de penser, est plus idéologique (politique) que biologique. Identifier quelqu’un comme un Joola ou un Sérèr permet certes de s’organiser dans la société, mais ces divisions peuvent être abstraites et arbitraires. Nous savons qu’il y a dans les ethnies Sérèr, Joola, etc. des sous-groupes qui ne se comprennent même pas du point de vue linguistique. Le plus souvent ce sont des constructions politiques pour tracer une démarcation politique ou économique entre ceux qui font partie de nous et ceux qui nous sont étrangers. Du moins, si les ethnies ont une objectivité relative, la répulsion qu’elles éprouvent entre elles, est purement subjective, culturelle, construite.

Max Weber a montré dans ce sens que « les millions de mulâtres des États-Unis, par exemple, parlent de façon suffisamment éloquente contre 1′« innéité» de la répulsion raciale sexuelle, même lorsqu’il s’agit de races fort éloignées ». Les relations sexuelles entre personnes d’ethnies différentes ne posent aucun problème aux amoureux jusqu’au moment où les politiques, ces prédateurs de la paix et de la concorde, s’en mêlent pour assigner des frontières afin d’assouvir leur soif de pouvoir. En général, ce sont les enjeux politiques et économiques qui exacerbent ces données ethniques. Max Weber explique

« Indépendamment de l’interdiction pure et simple des mariages interraciaux dans les États du Sud, l’horreur de tout rapport sexuel entre les deux races, qui s’est aussi récemment imposée aux Noirs, n’est que le produit des prétentions de ceux-ci, nées de l’émancipation des esclaves, à être traités comme des citoyens égaux en droits. Cette horreur est donc conditionnée socialement par des tendances à monopoliser la puissance et l’honneur sociaux, selon
un schéma que nous connaissons, qui, dans le cas présent, est en connexion avec la race »
. (Économie et sociologie, Ch. IV, Librairie Plon en 1971. p)

On voit clairement que ce sont les appétences politiques et économiques qui sont à l’origine de ces considérations ethniques. En Afrique du Sud sous l’Apartheid, comme au Sénégal durant l’esclavage, le fond des questions ethniques a toujours été le pouvoir (spirituel, économique, politique).

On ne manipule ces données (pas forcément factuelles) comme des réalités intangibles que pour régler des comptes, oubliant que nous avons tous la même origine génétique. Ce qui touche à la réalité humaine, principalement à la culture, n’est jamais statique. Les migrations et les métissages (biologiques et culturels) devraient, de toute façon, nous interdire d’insister sur les considérations ethniques.

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