Après 63 ans d’indépendance : La démocratie sénégalaise face aux conquêtes du pouvoir

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« Le chemin parcouru par le Sénégal, depuis la colonisation jusqu’à nos jours, a été long, souvent difficile, mais toujours exigeant », El hadj Ibrahima Ndao dans “Sénégal, histoires des conquêtes démocratiques”.
Aux passionnés d’histoire et de politique, le Sénégal est une grande démocratie. Après les batailles d’indépendance, notre pays a réussi ses batailles démocratiques. Ainsi, nous avons à notre actif, 63 ans d’indépendance, 13 législatures et 4 présidents de la République. Les alternances se sont faites dans les meilleures conditions, au vu et au su du monde entier, au profit du peuple sénégalais et de sa démocratie.

A l’instar des Grandes Démocraties, il faut reconnaitre que les différentes étapes de cette démocratie, ont connu des bas et des hauts, à travers parfois des manifestations tantôt pacifiques, tantôt teintées de violences.
Des hommes et des femmes ont laissé ou cherché à laisser de manière indélébile, leurs noms sur la grande tablette de l’histoire des conquêtes démocratiques du Sénégal après les indépendances.

Entre autres, on peut citer Valdiodio Ndiaye, Léopold Sédar Senghor, Mamadou Dia, Emile Badiane, Assane Seck, Cheikh Anta Diop, Jean Collin, Puritin Fall, Majmoud Diop, Madior Diouf, Abdou Diouf, Abdoulaye Wade, Landing Savané, Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily, Iba Der Thiam, Moustapha Niasse, Djibo Leyti Kâ, Ousmane Tanor Dieng, Robert Sagna, Idrissa Seck, Macky Sall, Aissatou Tall Sall, Khalifa Sall, Barthélémy Dias, Ousmane Sonko, la liste est loin d’être exhaustive. Certains ont eu maille à partir avec la justice. Pour devoir de mémoire, cette contribution se focalisera sur cinq d’entre eux, à savoir Mamadou Dia, Abdoulaye Wade, Idrissa Seck, Khalifa Sall et Ousmane Sonko.

Mamadou Diz : « Si ma condamnation devait servir mon pays, j’accepte davantage cette condamnation… »

En 1962, Mamadou Dia qui était le Président du Conseil du Sénégal, est accusé de complot contre le Président Senghor. Arrêté, son procès est convoqué au début du mois de mai 1963 et a duré cinq jours. A la lecture de l’acte d’accusation, figuraient trois chefs d’inculpation. Il s’agit, entre autres :

  • d’« atteinte à la sûreté de l’Etat ;
  • d’arrestations arbitraires ;
  • de réquisition de la force publique pour s’opposer à l’exécution des lois et des dispositions légales ».

Ibrahima Sarr, Valdiodio Ndiaye, Joseph Ndiaye et Alioune Tall étaient accusés de complicité à des degrés divers. Un pool d’avocats s’est constitué pour leur défense. Il comprend quatre avocats sénégalais Me Sarda, Me Abdoulaye Wade, Me Ogo Kane Diallo, Me Oumar Diop, Me Assane Dia et Me Farthouat. Me Robert Badinter du barreau de Paris était le 5e.

Ce procès public avec des témoins à charge et à décharge, avait comme Procureur général, Ousmane Camara. Ce dernier dans son réquisitoire affirmera que « Mamadou Dia a commis une faute, mais il doit bénéficier de circonstances atténuantes ».

En réponse à la question rituelle sur une dernière déclaration, Mamadou dira : « Il ne me reste plus qu’à attendre avec sérénité le jugement de la Haute Cour. Je considère que les faits qui me sont reprochés ne sont nullement justifiés. Si ma condamnation devait servir mon pays, j’accepte davantage cette condamnation, mais en souhaitant que mes amis qui me sont restés fidèles, soient au moins épargnés. Je remercie Dieu car je crois que ma prière a été enfin de compte exaucé : le sang sénégalais n’a pas été versé. Quel que soit ce qui arrivera demain, je dis que je rends grâce à Dieu de cette prière exaucée».

La sentence de la Haute Cour est tombée un 11 mai de 1963. Mamadou Dia est condamné à la « déportation perpétuelle dans une enceinte fortifiée ». Ses fidèles compagnons à savoir Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye, Valdiodio Ndiaye, à « 20 ans de détention criminelle ». Quant à Aliou Tall, il est condamné à « 5 ans d’emprisonnement et 10 ans d’interdiction de droit civique ». Tous les condamnés furent internés à Kédougou.

A la même année, Cheikh Tidiane Sy, chef religieux et ancien ambassadeur du Sénégal en Egypte, est détenu à la Maison d’arrêt de Rebeuss. Il est accusé de « subversion ». Le 2 septembre 1963, après la prière du vendredi à la mosquée de la rue Blanchot, actuelle rue Moussé Diop à Dakar, un appel à marcher sur le Palais de la République est lancé et a eu le temps de passer en direct sur les antennes de Radio Sénégal. Les manifestants exigent la démission du Président Senghor. Aussitôt, cette masse humaine se dirigea vers le Palais. Mais elle sera interceptée par les brigades anti-émeutes de la police, tandis qu’une partie des manifestants se rendit à la prison centrale pour exiger la libération du guide religieux. Ils furent dispersés par les forces de l’ordre.

Abdoulaye Wade : « je ne veux pas marcher sur des cadavres… »

Le 21 février 1993, le Sénégal organise une élection présidentielle avec 8 candidats dont un indépendant, Mamadou Lô, une première pour notre démocratie. Pour El Hadj Ibrahima Ndao, « ce scrutin sera marqué par un cafouillage sans précédent, du fait, d’une part, des lourdeurs des dispositions du Code électoral, et, d’autre part, de l’incapacité de la Commission nationale de Recensement des Votes à proclamer les résultats provisoires dans les délais impartis ».

D’après le Conseil, « la Commission nationale de Recensement des Votes dispose d’un délai de 72 heures, à compter du 2 mars 1993, à 15h 00, pour procéder à la proclamation provisoire des résultats, conformément à la Constitution et au Code électoral ».

Face à une situation qu’il ne maîtrisait peut-être plus, le président du Conseil constitutionnel d’alors, Kéba Mbaye rend sa démission, le 2 mars 1993. Il sera remplacé par Youssou Ndiaye, précédemment Premier président de la Cour de Cassation. Ainsi, la Commission nationale de Recensement des Votes reprend ses travaux le 3 mars 1993, sous les critiques de l’opposition.

Au cours d’une conférence de presse donnée le 2 mars 1993 à Dakar, le Président Abdoulaye dit, à cet égard, « sa préférence pour la constitution d’un tribunal arbitral composé de 3 juges, dont 2 seront choisis par lui et le candidat du PS au pouvoir, ces deux magistrats devant à leur tour choisir un tiers ». Pour le candidat du PDS qui se voyait déjà Président du Sénégal, « cette démarche est préférable au retour au Conseil constitutionnel ». Et disait haut et fort qu’il ne faisait pas « confiance à certains juges siégeant dans une institution judiciaire ».

Les résultats provisoires seront proclamés finalement par la Commission de Recensement des Votes. Abdou Diouf remporte l’élection avec 58,40%. Abdoulaye Wade arrive en 2e position, avec 32,03% des suffrages qui se sont exprimés.

Deux mois après la présidentielle, place aux élections législatives du 9 mai 1993. Les résultats sont proclamés le 14 mai. Me Babacar Seye, vice-Président du Conseil Constitutionnel, est assassiné le samedi 15 mai 1993, aux environs de 15h, dans sa voiture de fonction sur le trajet de retour entre le siège du Conseil Constitutionnel et son domicile.

Abdoulaye Wade et d’autres dirigeants de l’opposition sont gardés-à-vue, 48h. Le leader du SOPI et sa femme son inculpés le 1er octobre 1993. L’arrêt de la Chambre correctionnel de la Cour de Cassation du 6 septembre 1994, a confirmé le non-lieu prononcé en faveur de Abdoulaye Wade, de son épouse et des autres dirigeants du PDS, dont Samuel Sarr, Mody Sy, Ousmane Ngom et d’autres. Tandis qu’Amadou Clédor Séne, Assane Diop et Papa Ibrahima Diakhaté, reconnus « coupables de crime sur la personne de Me Babacar Sèye », sont condamnés, le 30 septembre 1994, le 1er, à 20 ans de travaux forcés, et les deux autres à la peine de 18 ans de travaux forcés.

Par ailleurs, mais toujours sur cette route du Palais, Me Wade fait son retour en 1999, après un long séjour à Paris. Il sera accueilli par des centaines de milliers de personnes à l’Aéroport international de Yoff. Cette déferlante humaine l’accompagna jusqu’au siège du PDS au quartier Fass de Dakar.

En cours de route, une partie de la foule scandait en chœur : « au palais ! au palais ! au palais ! ». Face à cette situation qui risque de dégénérer, Wade du haut de son véhicule cria : « chers compatriotes, je ne veux pas marcher sur des cadavres pour aller au Palais. Soyez patients, retournez tranquillement chez vous, nous allons continuer la mobilisation ». Voilà que quelques mois après, le 19 mars 2000, Abdoulaye Wade élu 3e président de la République du Sénégal indépendant. Pour rappel, avant d’accéder à la magistrature suprême, Me Abdoulaye Wade avait fait la prison en 1986, 1988, 1993 et 1994.

Idrissa Seck ou l’homme des « 199 jours à Rebeuss »

Idrissa Seck, Premier Directeur de Cabinet et 3e Premier ministre du Président Abdoulaye Wade, après Moustapha Niasse et Mame Madior Boye. Homme de confiance et compagnon de guerre de Me Wade, l’homme qu’on appelait Ndamal Kadior, sera démis de ses fonctions de Premier en 2004, avant d’être convoqué le 15 juillet 2005 par la Division des investigations criminelles dans l’affaire dite des chantiers de Thiès.

Après l’étape du Commissaire Assane Ndoye de la DIC, Idrissa est présenté au procureur et à la Doyenne des juges, Seynabou Ndiaye Diakhaté. Il est inculpé le 23 juillet 2005, pour «atteinte à la sûreté de l’Etat et à la défense nationale», avant d’être déféré à Rebeuss où il passera 199 jours. A ses côtés, l’homme d’affaires Hassane Farès et le journaliste Ndary Guèye. En guise de riposte, Idy fait secouer le Palais à travers son « Cd numéro 1 », où il divulgue des secrets d’Etat, afin de clamer son innocence. Une phrase célèbre a fait la Une des journaux : «Jusqu’à l’extinction du soleil, aucun centime de détourné ne pourra m’être reproché».

Jouissant d’un privilège de juridiction, l’ex- Premier ministre de Wade comparaît devant la Commission d’instruction de la Haute cour de justice, après le vote d’une mise en accusation de l’Assemblée nationale. Il est exclu du Pds le 5 août de la même année.

Suite à un non-lieu, partiel d’abord et définitif après, servi par la Commission d’instruction de la Haute cour de justice, Idrissa Seck sort de prison le 7 février 2006.

A sa sortie de prison, il dira à ses militants : «c’est avec une conscience calme que je suis entré dans cette épreuve. C’est avec une conscience calme que j’en sors et je convoite de Dieu la sérénité, l’endurance, la capacité de dépassement qu’exige la mission que je me suis assignée : servir le Sénégal…»

En 2007, avec 14,93%, il arrive 2e à la présidentielle derrière Me Wade.

Khalifa Ababacar Sall : « par divers canaux, …. que je cesse mon ambition politique et mes tournées politiques »

En 2017, Khalifa Ababacar Sall, maire socialiste de Dakar, est accusé d’avoir détourné 1,8 milliard de francs Cfa de la régie d’avance de la municipalité de Dakar. Son accusation fait suite à un audit conduit en 2015 par l’Inspection générale de l’Etat (IGE) dans les finances de la municipalité. L’IGE s’intéressait à une « caisse d’avance », réglementée par un arrêté du 31 janvier 2003, ayant pour objet de couvrir des dépenses destinées essentiellement aux populations nécessiteuses de Dakar.

D’après un article de “Jeune Afrique” paru le 13 décembre 2017, « chaque mois, cette caisse était approvisionnée à hauteur de 30 millions de francs CFA. Une somme qui aurait servi pendant la période visée par l’audit (2011-2015) à l’achat de mil et de riz à un groupement d’intérêt économique (GIE) dénommé Tabbar, selon les factures fournies par Mbaye Touré, directeur administratif et financier de la mairie de Dakar et gestionnaire de la caisse d’avance. Des procès-verbaux de réception de ces denrées portant la signature de Mbaye Touré, du maire Khalifa Sall et de deux autres responsables de la mairie, semblent également attester de la réalité des livraisons. Rien d’anormal a priori au regard de l’arrêté du 31 janvier 2003, qui prévoit notamment, que la caisse d’avance puisse être employée pour la fourniture de « denrées alimentaires » aux « populations nécessiteuses ». Mais les inspecteurs de l’IGE ont de sérieux doutes sur les contreparties correspondant à ces factures de mil et de riz.

Leur audit révélera que les 30 millions de francs Cfa étaient chaque mois, versés directement à Khalifa Sall, comme l’indique le réquisitoire du Parquet de Dakar aux fins de renvoi en correctionnelle.

En février 2017, le dossier est déposé sur la table de la Division des investigations criminelles (DIC), pour les besoins de l’enquête. Bouclée le 2 mars 2017, l’enquête fait état de petits arrangements autour de la caisse d’avance, à savoir « des livraisons fictives de mil et de riz, l’identité usurpée d’un chef d’entreprise, des factures fabriquées de toutes pièces…».

Le 5 mars lors d’une conférence de presse, le maire de Dakar se lave à grande eau et parle de « complot ». A l’en croire, « par divers canaux, il m’a été fait savoir que si je voulais que cette procédure cesse, il faudrait d’abord que je cesse mon ambition politique et mes tournées politiques ». Le 07 mars, Khalifa Sall et Mbaye Touré sont inculpés par le Doyen des juges, pour « association de malfaiteurs », « détournement de deniers publics et escroquerie portant sur les deniers publics », « faux et usage de faux dans des documents administratifs », « blanchiment de capitaux » et « complicité de faux et usage de faux en écriture de commerce ».

Six autres collaborateurs du maire sont, eux aussi, poursuivis pour divers délits. Il s’agit de Fatou Traoré (secrétaire de Mbaye Touré), Amadou Moctar Diop (coordonnateur de l’Inspection générale des services municipaux), Ibrahima Yatma Diao (chef de la Division financière et comptable de la mairie), Ibrahima Touré (receveur-percepteur de la ville de Dakar), Mamadou Oumar Bocoum (prédécesseur de Ibrahima Touré avant juillet 2015) et Yaya Bodian (comptable à la mairie).

Khalifa Sall sera finalement condamné à 5 ans de prison ferme et à une amende de 5 millions de francs Cfa, pour « faux et usage de faux » et « escroquerie portant sur des fonds publics ». Pour les chefs d’inculpation d’« association de malfaiteurs » et de « blanchiment de capitaux », il est relâché.

Ousmane Sonko : « Mortal Kombat… »

Arrivé 3e à l’élection de 2019, le député Ousmane Sonko est accusé de viol par Adji Sarr, une jeune masseuse du salon Sweet Beauté en février 2021, en pleine crise sanitaire de COVID-19. Le dossier occupe la Une des journaux et devient viral dans les réseaux sociaux. Le leader du PASTEF organise un point de presse. S’il reconnaît avoir été à Sweet Beauté pour des besoins de « massage thérapeutique », Ousmane Sonko réfute l’accusation de viol et parle de « complot politique ». A partir de sa rencontre avec la presse, il lance un appel à sa jeunesse militante pour un « Mortal Kombat ». Les jeunes ont répondu à l’appel qui sera suivi par un décompte macabre de près de 14 morts, avec des dégâts matériels énormes.

La procédure pour la levée de son immunité parlementaire est lancée. Après la levée de son immunité, le leader de Pastef est inculpé le lundi 8 mars et placé sous contrôle judiciaire. Le dossier Adji Sarr est finalement envoyé par le Doyen des juges en procès.

En attendant son procès avec Adji Sarr, un autre dossier de diffamation vient encore secouer Ousmane Sonko. Mame Mbaye Niang l’accuse d’avoir déclaré qu’« il avait été épinglé par un rapport de l’IGE (Inspection générale d’Etat) pour sa gestion d’un fonds de 29 milliards de francs Cfa du Programme des domaines agricoles communautaires (PRODAC) ».

Convoqué le 16 mars 2023 par le tribunal de Dakar une 3e fois dans le dossier l’opposant à Mame Mbaye Niang, Ousmane Sonko lance un appel à la jeunesse patriote pour l’accompagner au tribunal pour faire face à ce qu’il appelle un « complot politique ». C’était lors du meeting organisé par la Coalition Yewwi Askaan le mardi 14 mars 2023 au terrain ACAPES des Parcelles Assainies. Le procès est finalement renvoyé au 30 mars 2023.

Les deux dossiers sont actuellement en instance dans les juridictions de Dakar.

Je ne saurais terminer cette contribution sans interpeller ce grand homme de la presse sénégalaise et francophone, je veux nommer Bara Diouf, qui disait, à travers une contribution publiée dans le quotidien “Le Soleil” du mercredi 8 avril 2009 et portant sur un regard très objectif de la démocratie sénégalaise : « Les grands moments de l’histoire d’un Peuple, sont toujours marqués par de grands événements. De grands événements qui ébranlent les incrédules, déstabilisent les citoyens faiblement ancrés dans l’idée de Nation et de Concitoyenneté, poussent ceux qui n’ont qu’une faible lecture de l’idée de démocratie qui est mouvement et celle de Nation qui est éternité, à se vêtir hâtivement de l’illusion d’une victoire et croire, désormais, que c’est la fin du monde et que le monde qui arrive est le leur».

Que Dieu bénisse le Sénégal.

Par Talibouya AIDARA
Journaliste/communicant/auteur
Email : aidara.or.t@gmail.com

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