Abdoul Aziz Tall, ancien Ministre Directeur de Cabinet du Président de la République, ancien Ministre en charge du suivi du PSE, ancien Directeur général du BOM est plutôt connu par rapport à son profil de conseiller en Management diplômé, MBA de HEC Montréal. Pourtant son cursus universitaire mentionne qu’il est également diplômé en sciences politiques de l’Université de Montréal. Et c’est justement sur le terrain politique que nous l’avons interpellé, en droite ligne de sa récente contribution parue largement dans la presse et intitulée : « Arrêtons de jouer avec le feu. »
Monsieur le ministre, vous avez publié récemment une contribution appelant à ne pas jouer avec le feu. Les heurts survenus dernièrement à Ziguinchor ainsi que les récentes manifestations à Kédougou et Dakar semblent conforter vos appréhensions…
Le Sénégal est en train de traverser des zones de turbulences avec une précampagne électorale qui peut dégénérer si les mesures qui s’imposent ne sont pas prises, pour calmer les esprits surchauffés à la veille d’une compétition dont les enjeux sont presque à l’image d’une présidentielle.
Comment expliquer cette situation que vous redoutez et qui pourrait constituer une réelle menace pour la cohésion nationale ?
Notre pays a toujours été considéré comme un État de droit et de démocratie. Mais l’État de droit et de démocratie sont intrinsèquement liés à la qualité des relations pouvoir/ opposition. Dès lors, un pays sans opposition ou avec une opposition faible ou affaiblie ne saurait être considérée comme une véritable démocratie. L’un dans l’autre, de réels dangers pourraient guetter la démocratie sénégalaise. En effet, lorsqu’un contrepouvoir formel et solide n’existe plus dans une démocratie pour exprimer la position de la minorité, c’est le peuple lui-même ou une partie de ce peuple qui se mue en une véritable opposition informelle et sans attache idéologique conventionnelle. Or, une telle situation portée par cette forme d’opposition spontanée conduit irrémédiablement à des dérives anarchiques qui appellent à la répression et à l’usage de la force. Dans ce cadre, il convient de souligner qu´une vraie démocratie a davantage besoin d’oxygène que de lacrymogènes pour exister et garantir la paix et la stabilité sociale.
En dépit de la tension montante, croyez-vous que ces élections pourraient se dérouler normalement ?
A la veille de ces élections locales, cette cascade de rejets massifs et exclusifs des listes de l’opposition à travers le pays est quelque peu troublante et inédite. À cela, il faut ajouter cette bataille judiciaire qui se profile à l´horizon entre autorités de l’administration territoriale et autorités judiciaires. Vous conviendrez avec moi qu’il y a de quoi s’alarmer au regard du scénario inédit qui se déroule sous nos yeux. En effet, quelque soit l’issue de cette confrontation entre deux grands corps de l’Etat, l’administration sénégalaise en sortirait sérieusement fragilisée, voire discréditée. Tout ce cocktail d’incongruités a fini d’installer dans le pays un climat politique très tendu, je dirais même électrique. D’une adversité politique empreinte de courtoisie et d’élégance républicaine qui devrait être la norme dans une démocratie, les acteurs en sont arrivés à entretenir des relations d’animosité, de violence, sur fond de menaces, de défiances et d´avertissements musclés.
Pour toutes ces raisons, l’apaisement du climat politique avant la tenue des élections est devenu un impératif afin d’éviter l’irréparable. C’est un préalable qui va favoriser un climat de sérénité et de sécurité où la confrontation des idées et des programmes prendra le dessus sur les arguments de la force.
L’espace politique sénégalais est devenu aujourd’hui un véritable déversoir d’insanités de violence verbale et physique, de sorte que nombreux sont ceux qui, par pudeur réchignent à s´engager. Dans une telle atmosphère toujours marquée par les effets de la pandémie qui joue à cache-cache, les sénégalais sont aujourd’hui angoissés et stressés.
Pensez-vous qu’il y a des chances de sortir de cette situation de crise préélectorale ?
Dans ce contexte de troubles et d’incertitudes, le Président de la République, père de la nation et principale figure du jeu politique doit être le métronome de la restauration d’un climat de paix, en évitant de suivre les va-t’en-guerre qui pensent lui faire plaisir à travers des positions radicales vis-à-vis de l’opposition. Il en a d’autant plus intérêt que c’est lui, et lui seul qui est élu au suffrage universel, avec à la clé, un bilan à livrer au peuple. Par conséquent, il doit éviter toute situation de nature à entraver le déroulement normal de la mise en œuvre de son programme de politiques publiques. Pour ce faire, il doit commencer d’abord par la reconnaissance effective de ses adversaires politiques comme des opposants à son régime et non comme de simples « perturbateurs » de sa gouvernance. A ce titre, il devrait les informer de certaines grandes décisions qu’il est appelé à prendre, échanger et au besoin recueillir leurs opinions, même s’il n’est pas obligé de les suivre dans leurs positions, si celles-ci sont différentes des siennes. Une telle démarche avait été initiée et saluée par l’opinion aux premières heures de la pandémie. Dans une démocratie, le Président de la République est un délégataire du pouvoir du peuple. A ce titre, il a entre autres, deux obligations majeures : rendre compte à ses mandants et ainsi veiller à la reddition permanente des comptes, gage de transparence, tout en étant ouvert aux observations et critiques de ses concitoyens. A cet égard, les menaces et récriminations de part et d’autre, doivent céder la place à un dialogue franc et sincère autour des enjeux du moment.
Cette posture attendue du chef de l’Etat doit trouver du répondant auprès des responsables de l’opposition. Ceux-ci doivent comprendre que leur interlocuteur est celui qui a été élu au suffrage universel et qu’il doit demeurer à son poste jusqu’au terme de son mandat. En tant que tel, il est le chef de l’Etat et l’autorité suprême de la République. Chaque sénégalais lui doit respect et considération eu regard à la haute institution qu’il incarne. Les divergences politiques, si fortes soient-elles ne devraient en aucun cas engendrer un sentiment d’animosité, quelque soit par ailleurs le jugement porté sur sa gouvernance. Une fois encore, il ne sert à rien de conquérir le pouvoir ou de chercher vaille que vaille à le conserver, si l’on doit passer tout le reste de son temps à recomposer les pièces d’une nation éclatée ou éteindre des brasiers.
A votre avis, les conditions tantôt évoquées sont-elles réunies ?
Aujourd’hui, il est regrettable de constater que nous sommes dans une certaine impasse. D’où l’importance des appels de régulateurs sociaux crédibles et désintéressés, en mesure de rapprocher les différents acteurs, et ensuite d’extirper en eux ce sentiment de rejet mutuel et d’hostilité. C’est un impératif à l’organisation d’élections apaisées qui devront se dérouler à la date prévue du 23 janvier prochain, sur la base d’un consensus fort entre les différents acteurs.
N’est-ce pas que le dialogue politique visait, entre autres objectifs, le rapprochement des positions des différents acteurs ?
C’est l’occasion de constater que si tel était l’objectif du dialogue politique, force est de regretter que les résultats obtenus ne semblent pas être à la hauteur de l’espoir suscité. Les positions sont demeurées figées, du moins avec une partie de l’opposition, parce qu’il y a toujours des problèmes d’égo et de personnes, en plus des divergences d’idéologie, d’approches et de stratégies qui sont loin d’avoir été surmontées. Au demeurant, les véritables initiatives de réconciliation se font très rarement dans des cadres formalisés, encore moins sur la place publique. Pour rappel, c’est bien dans les coulisses, notamment au sein des foyers religieux que les troubles survenus au mois de mars dernier ont été dépassés pour le bonheur de tous.
Pensez-vous qu’il soit encore possible de trouver une solution définitive à cette impasse politique ?
Il faut surtout éviter qu’une crispation politique concernant une minorité d’acteurs, puisse se transformer en une crise sociale qui pourrait menacer les fondamentaux de la nation. Cela dit, il n’existe aucune problème sans solution. Pour rappel, le Président Diouf et son opposition, notamment avec le Président Wade, ont connu des divergences qui avaient atteint un point culminant et personne ne pouvait imaginer un quelconque rapprochement entre les deux camps. Il y a eu plusieurs manifestations marquées par des violences, des discours belliqueux, des emprisonnements et même malheureusement, le meurtre d’un juge. Il aura fallu l’intervention de médiateurs crédibles dont des chefs religieux, toujours disponibles, pour trouver une issue favorable, afin d’éviter l’implosion du pays. La capacité au dépassement est un des traits caractéristiques de la qualité d’un leadership positif.
C’est l’occasion de rappeler ici les appels salutaires et incessants, des Khalifes Généraux du pays et du chef de l’église, en faveur d’élections apaisées, libres et transparentes. Invites auxquelles tous les acteurs devraient adhérer sans réserve, s’ils sont véritablement soucieux de la paix et de la stabilité du Sénégal.
Propos recueillis par Abdoulaye Thiam, Sud QUOTIDIEN.
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