A Paraître – Abdourahmane Seck Homère, le Passé Décomposé

Partager l'article

Abdourahmane Seck Homère a procédé ce mercredi à la passation de services avec son successeurs à la présidence du Conseil d’Administration de Pétrosen, le second de sa vie. Une première fois, il avait en effet démissionné de son poste à la Saed, à la suite des difficultés de cohabitation entre Macky Sall et le président Abdoulaye Wade, en 2008.

Libre désormais de tout engagement administratif, il va vivre le repos du guerrier, en gardant quand même sa base politique de Rufisque.

Pathé Mbodje a consacré un ouvrage à l’homme et en propose ci-dessous quelques extraits…avant parution

La biographie de Abdourahmane Seck Homère est des plus succinctes : activités politiques localisées à Rufisque, même s’il milite  à Diourbel, investissements dans l’immobilier perçus comme des spéculations foncières. Ces deux vastes programmes lui valent une inimitié qui trouve son explication ailleurs car, si on pousse la recherche, on comprend la source du mal : on vous le décrit comme  étant le beau-père du président Macky Sall.  Rien de moins.

Il est vrai que le singulier lui sied bien : tout se conjugue à la plus simple expression avec Homère Seck dans sa vie, du grand-père au petit-fils ; cette singularité le poursuit puisqu’on ne vit pas deux fois et qu’on ne marie pas tous les jours sa fille à un président, même si lui-même insiste : «  J’ai marié ma fille à un ingénieur ». C’était quand déjà ? Quinze ans après, il fera le pas en sens inverse, en allant conforter sa fille dont l’époux était en guerre contre l’arbitraire, lui en éternelle quête d’équité et de justice.

Le glamour est d’autant plus saisissant que Abdourahmane Seck Homère lui-même est très discret sur certains pans de son histoire de vie. Surtout que tout ne fut pas aussi rose qu’il n’y paraît, d’où une certaine complaisance à maintenir le mythe. Il privilégie alors le souvenir à la mémoire en refusant de rouvrir certaines plaies, pour se réjouir plus de ses succès. Il reste ainsi seul dans sa mémoire et sa conscience et a en effet révélé n’avoir pas tout dit, ce qui est compréhensible ;  nous respecterons ce droit. Mais en rappelant quand même la parenthèse de Dakar quand il préfère de loin la vie à Rufisque qui le voit se réaliser dans toute sa plénitude ; l’amour avunculaire prend le pas sur la chaleur d’un foyer nucléique trop tôt éteinte. Cet amour sera décisif dans sa vie, au moment des grandes décisions de ruptures…qui ne se feront pas et dont il n’aura l’explication que beaucoup plus tard de la part de l’oncle Magor Guèye qui a dignement pris la succession de l’irremplaçable et racé Pathé Guèye. On retiendra ainsi la force de la parenté dans la destinée de cet homme fort singulier.

Ce refus de faire face est pourtant constitutif de la réalité qu’il précède et justifie : Dakar est ainsi une étape importante vers Rufisque qui reçoit la pupille de la Nation, «l’enfant de la République», comme il dit, où il chante le jour de gloire pour nos ancêtres les Gaulois en se montrant d’une intelligence qui frappe, d’où Homère, nom d’un professeur qui rendait l’ultime copie, la meilleure, à Seck Abdourahmane ; ses camarades scandaient alors : « Homère !, Homère ! ». L’élève venait de dépasser le maître.

Cette excellence n’est pas née ex-nihilo : au moment d’effeuiller l’épais album des souvenirs, l’excellent joueur de foot-ball qu’était Ababacar Cissé se souvient de ses vains efforts, en cours primaires, pour égaler son voisin de banc Seck Abdourahmane ; il est resté collé à son voisin pendant au moins trois ans, du CE2 au CM2. Pendant tout ce temps, ses camarades et lui ont chanté Homère toujours premier.

Ce surnom, symbole de travail acharné, poursuivra Abdourahmane Seck Homère  toute sa vie, jusqu’à aux dernières générations et même jusqu’aux filleuls et assimilés. Telle cette  délégation partie solliciter la main d’une fille pour Abdourahmane Jr Diagne et qui a failli être éconduite : Abdourahmane Diagne était inconnu de la famille de la fille. Renseignements pris, le garçon qui fréquentait la maison et qui pouvait prétendre à la main de la fille s’appelle… Homère Diagne !

Une fois l’émotion maîtrisée cependant, le regard pudiquement détourné pour écraser quelque larme du souvenir noyée dans une sudation abondante, été comme hiver, on y lit comme dans un livre ouvert. Elle est riche, la vie de ce fils unique, petit-fils d’un grand-père lui-même garçon unique qui n’aura enfanté à son tour qu’un seul garçon. L’encyclopédie qu’est Homère, nourrie d’une riche expérience professionnelle et personnelle, contraste avec la perception populaire : l’anecdote, fruit des expériences, la remplit à ras bord parce que ces expériences se feront sur la quasi-totalité du territoire sénégalais, en tout cas dans cinq des sept  divisions administratives que comptait alors le Sénégal. Ajoutez-y les réminiscences  de l’éducation fondamentale née des contes de Ya Arame Ndiaye mais, surtout, de la grande et immense grand-mère Fatou Mangara dont Abdourahmane Seck Homère psalmodie encore les proverbes d’une grande sagesse, au point qu’il les récite lui-même à ses enfants aujourd’hui. C’est l’impossible transition entre hier et aujourd’hui qui explique à certains moments cette admiration pour cet homme d’hier qui vit aujourd’hui et qui veut  « que les enfants sachent ».

Abdourahmane Seck Homère est de commerce agréable : haut fonctionnaire basé principalement à Saint-Louis, dans les locaux des Archives de Saint-Louis, avant qu’elles ne soient acheminées à Dakar, il est mis à la disposition  des populations sénégalaises ; il séjourne pratiquement partout, parfois à différents moments et pour des durées plus ou moins variables : Diourbel, région du Fleuve, Thiès, Dakar, Sine-Saloum. À la fois anthropologue, sociologue et ethnologue, il étudie le milieu ambiant, intègre les sociétés locales et environnantes, projette, moins dans le sens de projet que résultante future des actes qu’il sera amené à poser et leurs conséquences prévisibles hors de tout doute raisonnable sur les populations locales, au sens religieux, culturel, physique et moral. Il aide ainsi à rétablir une certaine équité sociale en concevant la société par un redimensionnement de l’urbanisme et l’habitat, en redécoupant et en améliorant le cadre de vie et l’environnement physique et moral ;  lui, privé de vie avec ses parents dans une numérologie du sept des plus originales,  passera sa vie à favoriser l’unité de voisinage pour maintenir les liens de la parenté et de bonne entente cordiale.

Son amour du signe, ici écriture, symbole, lui vient du plus qu’élégant oncle Pathé Guèye, homme de lettres et de culture, prote  d’imprimerie et secrétaire général du Syndicat des Imprimeurs de l’Afrique occidentale, de sa propre propension à tout découvrir, à lire tout ouvrage déposé sur le guéridon du salon.

Ayant beaucoup lu, il a beaucoup retenu, en plus de ses recherches au gré de ses affectations sur le territoire sénégalais et de son ouverture à l’autre, de son humilité acquise au contact des hommes et de ses intuitions ; il rend avec humour, en homme d’agréable compagnie. Généreux dans l’âme pour avoir connu une société post-Seconde guerre mondiale traversée par les moments les plus difficiles et les plus intenses de sa marche vers son indépendance nouvelle, il met souvent la main à la poche. Sa voix est ainsi courue qui guide beaucoup vers l’homme, sa vaste culture appréciée. Il partagera tout, tout au long de sa vie, dès son plus jeune âge, lui déjà doté d’une forte bourse qui équivalait à une fortune en 1952 ; beaucoup en profiteront, jusques et y compris ce maître friand de fromage gruyère qui recevait sa dotation mensuelle de l’élève.

Certes, il raconte beaucoup plus qu’il ne se raconte ; c’est ainsi que l’auditoire s’émerveille devant notre Taj Mahal tropicalisé avec ces amours auvergnates d’un Bouna Alboury Ndiaye pour Soukeyna Konaré qui donnent aussi cet autre embranchement du rail, Louga-Linguère, après Kaolack-Guinguinéo.

Tout aussi émouvante est cette histoire de la prière mortuaire pour Abdoulaye Sadji quand Homère rassure le fils et ancien compagnon de jeux Booker-Washington sur la religion de son géniteur : les conjectures les plus diverses couraient alors sur le co-auteur des « Aventures de Leuk-Le-Lièvre » rédigé avec le président Léopold Sédar Senghor ; Homère, jadis selbé des enfants de la maisonnée, est donc le confident le plus sûr : Abdoulaye Sadji a été enterré selon le rite musulman le plus pur. L’anecdote de la visite de Senghor à Saint-Louis et de l’affaire du costume « zéfal » du gouverneur Thierno Birahim Ndao qui se retrouve nez à nez avec le Petit Seck dans le même costume est simplement hilarante ; ne souffrant aucune concurrence sur le plan de l’élégance et de la correction, le gouverneur décidera derechef que le Petit Seck devait aller changer de tenue : il le poussa dans son véhicule de commandement, flèche devant, pour le ramener dare dare chez lui se changer.

Abdourahmane Seck Homère assiste à la transition parfois douloureuse et ubuesque entre la royauté et la République en différents endroits du territoire, en particulier à Bambey et quelque part au Fouta ; l’administration coloniale s’était en effet reposée sur la chefferie traditionnelle dans sa distribution du pouvoir aux collectivités locales, comme Faidherbe l’avait fait de la justice en concevant le  tribunal musulman. Avec l’indépendance, 1’administration nouvelle bouleverse la société en transition sans lui laisser le temps de comprendre,  comme lors de la décentralisation. Il rappelle aujourd’hui encore à ses garçons les fortes recommandations de Mame Fatou Mangara sur les vertus cardinales du mariage et des cinq points qui en sont le soubassement, … et qui n’ont rien à voir avec une éducation à la française. Ici, le bon sens comme forme de savoir est dans la réalité une pratique dûment vécue et constatée, pour en tirer des règles dont l’universalité dépasse les bancs de l’école : nous sommes dans la vie quand Mame Fatou avance sentencieusement que, plus égalitaire que complémentaire,  l’épouse est avant tout une nawlé, que son père doit avoir de l’autorité chez lui, que la mère de la future épousée doit elle-même s’accoutumer à l’idée d’avoir une coépouse, afin que la fille soit préparée aux aléas du mariage, qu’elle se suffise de peu pour vivre et qu’elle ne soit ni trop rayonnante mais assez agréable à regarder quand même.

Homère regrette également l’absence d’études sérieuses sur le matriarcat lébou, surtout en cas de succession de la femme, et de l’importance de la terre dans la sociologie lébou, mais toujours en relation avec la mère, la sœur, la tante, etc…Il l’écrira peut-être un jour, tant le sujet lui tient à cœur et tant il aimerait que jeunesse sache.

L’histoire de vie de Abdourahmane Seck Homère doit aussi enseigner sur la primauté de la mémoire sur le souvenir et décrire la souffrance de cet homme qui perd sa mère très tôt et qui vit une errance morale et physique autour de la presqu’île de Cap-Vert, dans ce milieu lébou fait de mysticisme magico-religieux, d’enracinement plus que d’ouverture, de soumission et de solidarité. Au surplus, sa vie professionnelle est comme cette recherche impossible d’un îlot de paix où s’ancrer définitivement, sans la hantise d’un lendemain de départ, source de déchirures morales et de regrets ; il soupire encore devant ses rêves de rupture non réalisés avec l’administration sénégalaise pour se lancer dans le privé régional, sous-régional et international et le véto de l’oncle Magor  Guèye qu’il ne s’expliquera que lorsqu’il aura atteint l’âge de la retraite, etc… ; autant que faire se peut et en fonction d’un emploi du temps hyper busy, Abdourahmane Seck Homère essaie aujourd’hui de recréer la même atmosphère morale avec les compagnons de route, au gré de ses pérégrinations qui ressemblent parfois à un pèlerinage.

Homère raconte parce qu’il laisse libre cours à ses souvenirs et bloque délibérément sa mémoire : il n’a pas toujours réussi à faire ce qu’il a voulu dans sa vie comme son service militaire, lui qui vit dans une ville de garnison comme Rufisque dont la périphérie immédiate est Bargny ; ou quitter l’administration sénégalaise pour la Mauritanie, en 1974 quand Mamadou Sarr, directeur de l’Urbanisme et de la Cartographie à Nouakchott, lui propose de s’associer à lui dans un important projet de cartographie de l’immense territoire mauritanien (plus d’un million de kilomètres-carrés) avec salaire payé à Dakar, en monnaie convertible. Abdourahmane Seck Homère se rend dans la capitale mauritanienne, rencontre trois ministres en deux jours et s’apprête à signer le contrat…quand l’oncle Magor, encore lui, refuse.

Un an après et sans désemparer, le bureau d’études français Segecot spécialisé, entre autres, dans la cartographie, l’approche pour lui proposer le poste de responsable régional basé à Dakar avec comme juridiction territoriale l’Afrique occidentale française. L’oncle Magor dit encore niet. Aussi, revenu des remarques de l’oncle, Abdourahmane Seck Homère privilégie-t-il plus les anecdotes qui ont accompagné sa vie professionnelle et oublie-t-il les exploits réalisés. Moins par modestie que par ambiguïté et profonde sensibilité qui frise la sensiblerie : si les bosses des dromadaires en tremblent encore, l’hilarité qu’il déploie autour de lui  veut masquer les souffrances qui ont accompagné cet orphelin qui a dû faire face à la vie avec dignité, maturité précoce mais aussi avec beaucoup beaucoup d’humilité ; il vous dira volontiers qu’il commence à oublier. Faites un saut, du coq à l’âne, et voilà que la mémoire se réveille et revient à nos moutons. Souvent entre les rires et les larmes.

Homme de dignité, il a le même respect pour les intervenants à sa prise de décision que pour les bénéficiaires ; homme de dignité, il voue le même respect à ses interlocuteurs tout en faisant preuve de fermeté : il refuse toute préférence basée sur l’ethnie ou la culture, l’origine sociale ou le rang administratif. Son ministre de tutelle et un certain gouverneur le vérifieront. Fonctionnaire de valeur, il sait dire non quand il faut, un non d’autant plus argumenté que, du même souffle, il propose une alternative pour ne pas frustrer son vis-à-vis ; en ce sens, il reste conforme à la philosophie du compromis dynamique du président de l’époque devenue idéologie dominante. Cela ressemble fort à une objectivité proche d’un socialisme de gauche qui se développera de plus en plus chez l’individu. Aujourd’hui, ses fréquents soupirs veulent regretter l’absence d’hommes du rang dans les couloirs de l’administration sénégalaise : le Sénégal fonctionne à reculons en oubliant tous les succès des schémas directeurs d’antan face au phénomène des banlieues à Saint-Louis comme à Dakar, principalement, problèmes pourtant résolus avec succès il y a une quarantaine d’années. Ainsi :

  • Le plan directeur de « Dakar de 2025 » parlait déjà d’un second pôle à Bambylor au lieu de Diamnadio ;
  • Le tracé de l’autoroute Dakar-Thiès existait déjà en 1977 et devait rentrer dans la ville de Thiès par l’actuelle route de Mbour ; ce projet faisait obligation à la Société nationale des Habitations à Loyer modéré (SnHlm) d’observer un recul de 120 mètres pour respecter l’espace de la future autoroute ;
  • Le projet de route Dakar-Saint-Louis existait vers les années 80 et avait comme nom la route de Malaw parce que ne devant jamais rencontrer les rails.

C’est au détour de ces longues séances que beaucoup de ses vis-à-vis lui ont demandé de laisser sa trace en racontant tout qu’il sait, fait et narre avec succulence pour les générations présentes et futures ; la compréhension doit se faire sur le plan purement historique, comme avec l’affaire Bouna Alboury Ndiaye et Soukeyna Konaré, Abdoulaye Sadji et tant d’autres points que les historiens gagneraient à connaître. Les hésitations de Abdourahmane Seck Homère se comprennent : l’histoire au présent parlerait plus de l’histoire au passé et au présent mais pas de l’homme : Homère est en effet perçu moins en ce qu’il est, un homme en vie, qu’en homme d’actualité présente dont la vie se résumerait à celle d’un homme ayant eu la main heureuse en mariant une de ses filles. Et pourtant, il est loin d’être simplement cela.

De là est née l’idée : plutôt que de le laisser raconter les à-côtés de l’histoire, penchons-nous sur son histoire ; les historiettes ne doivent pas occulter l’histoire dont elles sont issues; même si c’est en raccourci et avec humour. Qui est cet homme à la démarche empressée, au sourire malicieux qui rappelle vaguement l’illustre Amadou Racine Ndiaye sous un certain angle ? Rien sur les traditionnels sites de recherches, comme s’il s’agissait d’un homme sans passé.

Pathé MBODJE

Abdourahmane Seck Homère,

Le Passé Décomposé

Mémoire & Souvenirs

Ø  Cora Fall raconte sa guerre d’Algérie

Ø  Le mémoire de Me Fadel Fall

en

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*