Monsieur le Président de la République du Sénégal,
Messieurs les Présidents,
Monsieur le Premier ministre
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs,
Ils venaient du Sénégal, des Comores, du Congo, de Côte d’Ivoire, du Gabon, de la Guinée, de Madagascar, de Mauritanie, du Niger, du Tchad, du Togo, de ce qu’on appelait encore à l’époque, la Côte française des Somalis, le Dahomey, la Haute-Volta, l’Oubangui-Chari ou le Soudan français.
Quittant leur terre d’Afrique, leur village, leurs familles, leurs enfants, ils répondirent à l’appel de la liberté quand la France fut à son tour, dans cette Europe lointaine, envahie par l’Allemagne nazie. Enrôlés ou engagés par amour de la France, ils se couvrirent de gloire sur tous les fronts de la Bataille de France.
A Sedan, Bar-le-Duc, Neufchâteau, Rohrbach, Sommauthe, à Amiens, à Bouglainval, à Aubigny, c’est en héros que les Tirailleurs Sénégalais écrivirent cette page de notre Histoire, repoussant courageusement les coups de boutoir de l’ennemi malgré l’écrasante supériorité de ses moyens. S’illustrant au combat par des exploits sanctionnés par de si nombreuses citations et décorations militaires.
Tant d’entre eux furent tués, portés disparus ou blessés au combat.
Plusieurs milliers furent lâchement exécutés par la Wehrmacht après lui avoir fait subir de lourdes pertes.
Plusieurs milliers encore restèrent emprisonnés dans les Vosges, dans la Marne ou en Bretagne, dans des camps allemands.
Les plus valeureux trouvèrent au fond d’eux-mêmes l’incroyable courage de s’évader, de gagner le maquis et de poursuivre la lutte jusqu’à la victoire.
Et ceux qui survivront conserveront toute leur vie dans leur chair et leur esprit les stigmates de la guerre, avec la satisfaction d’avoir, par leur sacrifice, assuré la défaite de la force brutale et la victoire de la liberté.
Et pourtant.
Et pourtant, quand vint la Libération, pour certains d’entre eux, le doux parfum de la victoire fut bientôt gâché par le goût amer de l’injustice. Démobilisés avant les autres, privés de la solde qui leur était due, ces héros africains furent déconsidérés par leurs chefs. Ces valeureux tirailleurs furent traités comme des soldats de second rang.
Ils avaient tout quitté, et parfois tout donné à la France de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Une France qui semblait subitement trahir sa promesse, manquer à son devoir d’égalité, manquer à son devoir de fraternité.
Ils ne purent faire autrement que de le lui rappeler.
Une première fois, ils protestèrent à Morlaix, où la moitié d’entre eux refusèrent d’embarquer à bord du Circassia qui devait les ramener chez eux.
Une deuxième fois, arrivés ici dans le camp de Thiaroye, ils protestèrent à nouveau et refusèrent de regagner leur foyer avant d’avoir reçu ce qui leur était dû.
Et c’est au matin du 1er décembre 1944, ici même à Thiaroye qu’ils réclamèrent justice dans un immense cri de colère qui retentit encore 80 ans plus tard. Un cri de colère que la France réprima dans le sang en ouvrant le feu sur ceux-là même qui avaient risqué leur vie pour qu’elle puisse être libérée.
Rien ne peut justifier que des soldats de la France aient ainsi retourné leurs canons contre leurs frères d’armes.
Les douleurs encore si vives provoquées par cette plaie béante dans notre histoire commune, seul un travail de mémoire peut conduire à les apaiser. Il n’y a pas d’apaisement sans la justice. Il n’y a pas de justice sans la vérité. La vérité, l’histoire et la mémoire ne sont pas des postures, mais des processus portant une part de complexité devant lesquels nous ne devons pas reculer.
C’est pourquoi la transmission des archives a été décidée en 2014. C’est pourquoi la France a accueilli une mission d’étude des archives que vous avez mandatée, qui contribue aux travaux du Comité dirigé par le Professeur Mamadou Diouf. C’est la raison pour laquelle le Président de la République vous a écrit, Monsieur le Président, pour vous dire que la France se doit de reconnaître que ce jour-là s’est déclenché un enchaînement de faits ayant abouti à un massacre.
Et si la France reconnaît ce massacre, elle le fait aussi pour elle-même, car elle n’accepte pas qu’une telle injustice puisse entacher son histoire.
Inclinons-nous devant les 202 stèles blanches du cimetière de Thiaroye, plantées dans la terre rouge du Sénégal comme une invitation permanente à œuvrer pour la justice et la vérité, partout et en tout temps.
Puisons dans ce travail de mémoire et de reconnaissance la grandeur d’âme, le dévouement et la dignité de ces hommes, de ces « témoins du monde nouveau qui sera demain » que célébrait Senghor.
Cultivons l’amitié entre le Sénégal et la France sur les fondations d’une mémoire qui rassemble plutôt que d’une mémoire qui divise. Monsieur le Président, vous avez posé avec le Président de la République le 20 juin dernier à Paris les bases d’un partenariat renouvelé fondé sur le respect mutuel, au service des intérêts réciproques de nos deux peuples, unis par des valeurs démocratiques partagées et une relation d’amitié.
Inventons ensemble ce nouveau dialogue, franc et respectueux des intérêts et des valeurs de chacun, transparent sur les objectifs, juste quant à la réalité des actes, juste quant au récit qui les entoure.
Pour que vive la République du Sénégal, et pour que vive la République française.
Nb : Seul le prononcé fait foi
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